La pression était trop forte. Après la levée de boucliers des institutions juives, de l’avocat Serge Klarsfeld et de responsables politiques de tous bords, la prestigieuse maison Gallimard a renoncé sine die au projet honteux consistant à rééditer trois pamphlets antisémites et orduriers de Céline (assortis d’un « appareillage critique »), introuvables en librairie depuis la fin de la guerre. Une « suspension » d’autant plus justifiée que la polémique a pris une ampleur médiatique nauséabonde, dans la mesure où elle a provoqué l’intérêt du grand public et donné une forme de légitimité à des textes délirants, susceptibles de raviver la haine antijuive.
« Les conditions méthodologiques et mémorielles ne sont pas réunies pour envisager le projet sereinement », a admis, le 11 janvier, le PDG Antoine Gallimard, ajoutant : « Ces pamphlets appartiennent à l’histoire de l’antisémitisme français le plus infâme. Mais les condamner à la censure fait obstacle à la pleine mise en lumière de leurs racines et de leur portée idéologiques, et crée de la curiosité malsaine là où ne doit s’exercer que notre faculté de jugement (…). Je comprends et partage l’émotion des lecteurs que la perspective de cette publication choque, blesse ou inquiète pour des raisons humaines et éthiques évidentes ».
Rappelons que l’écrivain collaborationniste lui-même, puis sa veuve, Lucette Destouches, âgée aujourd’hui de cent cinq ans, s’opposaient à la réédition en question. Mais cette dernière, très malade et dépendante, a besoin d’argent et aurait changé d’avis pour empocher les droits d’auteur dont elle est l’héritière.
Axel Gantz