Les contours du Nouvel ordre régional dessinés à Sotchi sans les USA, concernent au plus haut point Israël…
Bien que l’ambassadeur russe en Israël ait « diplomatiquement » annoncé, à la veille même du Sommet de Sotchi, que son pays « prenait toujours en compte les intérêts d’Israël », l’establishment sécuritaire israélien a surtout retenu les propos – quant à eux bien plus authentiques – prononcés le lendemain par Sergeï Lavrov, le chef de la diplomatie russe, affirmant devant la presse après le sommet, que « l’Iran a le droit rester en permanence en Syrie »…
Il faut dire que Jérusalem avait été déjà alertée par la position américaine – en forme de capitulation de Washington face à Moscou – relevée lors de la rencontre du 12 novembre dernier au Vietnam entre les présidents Trump et Poutine au sommet pour la Coopération Asie-Pacifique.
Un 3e « largage » d’Israël par l’administration Trump !
En effet, à la lecture de la Déclaration conjointe datée du 10 novembre, et publiée à Moscou et Washington, on a vite saisi à Jérusalem que Trump a accepté et légitimé l’expansion de l’Iran en Syrie, y compris le déploiement de milices armées iraniennes et pro-iraniennes près de la frontière israélo-syrienne. D’autant que ce texte allait être, un peu plus tard, assorti d’une carte montrant les zones où les forces iraniennes seraient déployées. En fait, cette déclaration ne mentionne aucun retrait à court ou moyen terme des forces iraniennes et des milices pro-iraniennes de Syrie !
Ce qui confirme le Mémorandum Russie-Etats-Unis-Jordanie sur le sud-ouest de la Syrie, déjà approuvé à Amman le 8 novembre, qui, lui aussi, n’exige le retrait d’aucune force étrangère de Syrie occidentale, ni des forces iraniennes, ni des factions armées soutenues par l’Iran, comme le Hezbollah… Et même s’il ne concernait officiellement que la Jordanie, cet accord avait encore plus trait à Israël, fortement opposé à ce type d’alliances générant des menaces existentielles sur sa sécurité.
Comme l’a fait remarquer Yigal Carmon, ex-chef des Renseignements de Tsahal, ancien conseiller sécuritaire d’Itzhak Shamir et d’Itzhak Rabin, et actuellement président du Memri (site d’analyse des médias arabes) : « En acceptant l’enracinement de l’Iran en Syrie, le président Trump et les Etats-Unis rejoignent et renforcent l’alliance Iran-Russie qui menace l’existence d’Israël. Et ce, en contradiction totale avec les déclarations de soutien à Israël et à sa sécurité faites par Trump, et avec son engagement déclaré à lutter contre l’expansion de l’Iran dans la région ».
Israël détruira les bases iraniennes du sud syrien situées à moins de 40 km de sa frontière-nord
D’après le journal koweïtien Al Djarida, Jérusalem aurait fait savoir à Damas et Beyrouth – par l’intermédiaire des Russes – que Tsahal détruirait toutes les bases iraniennes, actuelles ou futures, construites à moins de 40 km des frontières syrienne et libanaise sur le Golan. Selon ce journal citant une « source israélienne anonyme », Assad aurait accepté le principe d’« une zone démilitarisée de 40 km à sa frontière-sud comme élément d’un futur accord bilatéral Damas-Jérusalem, mais seulement si Israël n’agissait pas pour le faire partir du pouvoir ».
Toujours est-il qu’Israël ne transigera pas sur la nécessité de juguler – voire même, si l’occasion s’en présente après de probables provocations de Nasrallah – de détruire le formidable arsenal du Hezbollah chiite avec ses 200 000 missiles et roquettes, livrés par l’Iran et presque tous capables d’atteindre toutes les régions et villes de l’Etat hébreu…
S’il se confirme – comme l’a souvent lui-même répété le Premier ministre Nétanyaou – que la présence permanente de forces et d’armement pro-chiites d’origine iranienne dans les fortins, bases et arsenaux de l’armée syrienne, constitue elle aussi une « ligne rouge » pour Jérusalem et qu’il s’avère que l’Etat Juif les bombarde, les Russes devront expliquer tôt ou tard à leurs chers alliés iraniens, pourquoi ils sont en fait incapables de « contrôler les Israéliens »…
« Le jour où le futur grand aéroport militaire de l’Iran en Syrie sera détruit par Tsahal, a écrit voilà quelques jours l’analyste israélien, Alex Fishman, en résumant le point de vue de Jérusalem, tous les accords déjà passés à l’initiative de Poutine avec Rohani et Erdogan se consumeront dans les flammes déclenchées à la frontière israélo-syrienne »… Richard Darmon
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Quatre questions à Freddy Eytan, directeur du Centre des Affaires publiques et de l’Etat (CAPE) à Jérusalem :
« Un nouvel ordre stratégique se dessine au Moyen-Orient au détriment d’Israël »
– Haguesher : Quel est le contexte géopolitique du sommet de Sotchi ?
– Depuis les débuts du Printemps arabe, le Moyen-Orient change de mains et de visages : des leaders sont tombés, abattus, déchus ou exilés ; des régimes se sont écroulés, et des populations vivent toujours dans la terreur et la peur effroyables de massacres face aux ravages et à l’exode. Dans l’Histoire contemporaine, cette région du monde n’a jamais connu tant de bains de sang, de scènes monstrueuses et horribles, de guerres meurtrières et si longues !
Or, il semble ces jours-ci que Daesh batte en retraite sur tous les fronts, en laissant derrière lui ruine, désastre et désolation… La vision cauchemardesque de pouvoir créer un Califat indépendant s’estompe, bien que les risques terroristes soient omniprésents aussi en Europe.
– Quelles sont les implications de ce sommet ?
– Alors que la diplomatie semble reprendre l’initiative, les puissances et les stratèges s’attèlent à redessiner les cartes, les zones d’influence et les « lignes rouges ». Pour l’heure, deux grands vainqueurs peuvent se réjouir et se frotter les mains : la Russie et l’Iran. Les deux, pour des raisons et intérêts différents, ont réussi à gagner les batailles sur les fronts syrien et irakien.
La coalition occidentale, qui a participé aux raids et opérations militaires anti-Daesh, semble être indifférente aux résultats sur le terrain, et n’a pu imposer un règlement qui lui soit favorable. Même la création d’un Etat indépendant kurde s’est envolée en fumée en raison d’une faiblesse occidentale, particulièrement américaine.
– Et que penser de cette alliance Moscou-Téhéran-Ankara ?
– Cette nouvelle situation s’accentue avec le nouvel axe formé par la Russie et deux pays musulmans non-arabes : l’Iran chiite et la Turquie sunnite. L’Arabie Saoudite, la Jordanie, l’Egypte, et les Etats du Golfe suivent avec inquiétude ces nouveaux développements et préfèrent se rapprocher de l’Etat juif, seul pays stable de la région et capable d’affronter l’hégémonie iranienne.
L’administration Trump est certes une alliée incontournable d’Israël, mais ses activités timorées face au nouvel ordre se dessinant en Syrie et en Irak, et surtout son consentement tacite à une présence militaire iranienne proche de nos frontières, sont fort dangereuses. Les engagements de Trump pour garantir notre sécurité sont sans doute sincères, tout comme les garanties de Poutine à Nétanyaou, mais dans ce ‘bras de fer’ stratégique planétaire, ils ne prévalent pas sur les intérêts propres à chacun.
– Alors que doit faire Israël ?
– Dans ce contexte, nous ne pouvons plus compter sur de vagues promesses, surtout quand les menaces sont omniprésentes et existentielles. La seule garantie est dans la foi de notre juste cause, dans notre dissuasion et dans la puissance de Tsahal. Nous devrions donc agir avec fermeté et sagesse pour pouvoir mieux nous préparer à toutes les options militaires et diplomatiques.
Propos recueillis par Richard Darmon