Lorsqu’un fruit est mûr, il est généralement délicieux. Mais lorsqu’il est trop mûr, plus personne n’en veut. C’est l’une des réflexions que pourraient légitimement susciter les récentes déclarations, très hautaines, de l’ex-Premier ministre Ehud Barak sur son aptitude à être Premier ministre. Analyse d’un phénomène, par Daniel Haïk.
Dans une interview accordée, samedi soir, à la télévision israélienne, Ehud Barak a affirmé qu’il était le plus mûr à gouverner l’Etat d’Israël, « plus mûr encore que Binyamin Nétanyaou » a-t-il précisé. Cette nouvelle déclaration intempestive de celui qui fut également chef d’état-major de Tsahal et ministre de la Défense, n’est pas passée inaperçue. Elle a même provoqué une vague de spéculations sans précédent, quant à un éventuel retour de Barak sur le devant de la scène politique israélienne.
Alors, avant d’essayer de comprendre ce qui a bien pu motiver ce type de propos fanfarons de la part de Barak, citons le sondage réalisé par la même chaîne de télévision (l’ancienne chaîne 2). N’en déplaise à Ehud Barak, qui prétend disposer d’un sondage le plaçant en tête parmi le public laïc en Israël, cette enquête révèle qu’il est loin d’être la personnalité politique la plus populaire en Israël : seuls 7% des Israéliens estiment, en effet, qu’il est apte à être Premier ministre ! C’est beaucoup trop peu pour espérer, un jour, repartir sérieusement à la conquête du pouvoir. Qui plus est, 44% des Israéliens s’opposent à un retour de Barak, alors que seuls 26% y sont favorables, les autres n’ayant pas d’avis sur la question. On le voit, les sondages qui, souvent, guidaient les pas de Barak lorsqu’il était au pouvoir entre 1999 et 2001, ne lui sont guère favorables.
Alors pourquoi ? Pourquoi Ehud Barak multiplie-t-il, ces dernières semaines, les déclarations choc, souvent en fustigeant la conduite des affaires de l’Etat par Binyamin Nétanyaou ?
A cette question, plusieurs réponses.
– La première est que Barak fait actuellement le jeu de cette partie de la presse et des médias israéliens, déterminée à destituer par tous les moyens (légaux, bien entendu), l’actuel premier ministre Binyamin Nétanyaou. Il va sans dire que, pour les commentateurs du Haaretz, du Yediot Aharonot ou encore pour l’analyste politique de l’ex-chaîne 2 Amnon Abramovitz, qui a interviewé Barak samedi soir, les déclarations de l’ex-Premier ministre sont du pain béni, car elle portent, à chaque fois, de nouveaux coups à un Binyamin Nétanyaou déjà écorché par les enquêtes judiciaires le concernant. Cette presse-là serait apparemment prête à oublier les lourdes carences de Barak durant son court mandat de Premier ministre; elle serait prête à pardonner ses goûts de luxe, qui sont parfois plus scandaleux encore que ceux du couple Nétanyaou, si en contrepartie, il pouvait lui procurer l’immense plaisir de les débarrasser, une fois pour toutes, de l’actuel Premier ministre…D’une certaine manière, Barak, qui semble s’ennuyer dans le monde des affaires, serait donc une sorte de ballon de baudruche gonflé à l’air chaud par ces médias israéliens. Il serait prêt à jouer ce rôle, peut-être, en échange d’une forme d’immunité que ces mêmes journalistes lui accorderaient en retour, dans l’hypothèse où il reviendrait en politique. Rappelons à ce propos, que le même Amnon Abramovitz qui a interrogé Barak, avait promis, il y a douze ans, « d’étroguer » Ariel Sharon, c’est-à-dire de le protéger des enquêtes judiciaires qui le menaçaient si le plan de retrait du Gouch Katif se concrétisait…
– La seconde explication de ce « retour en avant » d’Ehud Barak est plus psychologique. Elle nous impose de rappeler que Barak fut, dans les années 70, à la belle époque des Commandos Matkal, le commandant d’un jeune officier très américanisé qui s’appelait Binyamin Nétanyaou. Durant les 4 années où ils ont travaillé côte à côte, Nétanyaou en tant que Premier ministre, et Ehud Barak en tant que ministre de la Défense, ils avaient su coopérer de manière exemplaire. Mais aujourd’hui, il y a dans les attaques verbales de Barak contre Nétanyaou, l’expression d’une forte jalousie doublée d’une profonde frustration. Et pour cause : Barak a été le Premier ministre le plus « bref » de l’histoire d’Israël, alors que Binyamin Nétanyaou bat les records de longévité à ce même poste… Dur à digérer.
– La troisième explication, c’est tout simplement que Barak, qui est légèrement imbu de sa personne, croit réellement qu’il peut conduire les affaires de l’Etat mieux que quiconque dans le pays, et qu’il possède à la fois l’expérience et l’ingéniosité nécessaires pour gouverner l’Etat d’Israël et le propulser vers un règlement du conflit israélo-arabe. Malheureusement, son très court mandat de Premier ministre entre mai 1999 et février 2001, a prouvé aux Israéliens le contraire. Jugez plutôt : Barak avait prévu de conclure une paix séparée avec la Syrie de Haffez el Assad. Il a échoué, face à l’intransigeance du président syrien. Il a dû ensuite retirer Tsahal du Sud Liban dans la précipitation, en mai 2000, donnant d’elle l’image d’une armée qui fuit face au Hezbollah. Après avoir méprisé pendant un an Arafat, Barak s’est soudain retourné vers lui en juillet 2000, pour tenter de signer un accord lors des pourparlers de Camp David. Et, bien qu’il ait proposé la moitié de Jérusalem, il a échoué dans ses tentatives de persuader le raïs de conclure un accord avec lui. Enfin, méprisant la Knesset et gouvernant seul, il s’est retrouvé, un an après son élection, à la tête d’un gouvernement minoritaire ! Un « palmarès » qui n’incite guère les Israéliens à lui accorder une seconde chance.
Mais à supposer que Barak ait l’étoffe des leaders, le problème est qu’aujourd’hui, contrairement à 1999, on ne peut plus devenir Premier ministre de l’Etat d’Israël en remportant des élections au suffrage universel direct. A l’époque, Barak s’était habilement servi de son parti « Yahad », une réincarnation du parti travailliste, comme tremplin pour se hisser dans le fauteuil de Premier ministre. Aujourd’hui, il a absolument besoin d’une formation, de préférence solide, pour réaliser son rêve. Or c’est là que le bât blesse : car Barak n’a plus de parti. Au parti travailliste, son foyer idéologique, on n’a pas oublié que c’est lui qui, en 2011, a failli sonner le glas de la formation historique en la faisant voler en éclats, et en la quittant pour créer le très éphémère Atzmaout (Indépendance). Peu de députés travaillistes sont prêts à pardonner à Barak cette manœuvre, perçue alors comme une véritable trahison.
Mais supposons là encore qu’ils acceptent, malgré tout, « pour l’intérêt de la nation » de tolérer un retour de Barak, que fera le nouveau président travailliste Avi Gabbay ? Les deux hommes ont, certes, d’excellentes relations, mais la présence massive de Barak, si elle se prolonge, fera de l’ombre à Gabbay et remettra en cause sa légitimité de leader. Et puis, il y a la question de la fonction : il n’est pas raisonnable d’envisager que Gabbay cède sa place à Barak. Dans le meilleur des cas, Barak pourrait être le Numéro 2 « sécuritaire » de Gabbay. Mais là encore, on voit mal pourquoi Gabbay préfèrerait un Barak peu populaire à un Gaby Ashkénazi, ou à un Moshe Yalom, deux anciens chefs d’état-major très appréciés dans la rue israélienne ? Quant à l’hypothèse de monter de toutes pièces un nouveau parti, elle n’est pas réaliste : Barak, qui a aujourd’hui 75 ans, n’aura pas la patience ni même la volonté de forger de toute pièces une nouvelle formation, surtout pas avec un seuil d’éligibilité de 3,25% très dissuasif….
Enfin, un dernier point : Barak a, nous l’avons dit, les mêmes goûts du luxe que Nétanyaou. Or, si l’actuel Premier ministre devait être destitué à cause d’une affaire de cadeaux luxueux, on imagine mal les Israéliens mettre en avant, à sa place, un homme politique qui pourrait avoir le même type de fréquentation…
C’est donc pour toutes les raisons évoquées plus haut, qu’il n’est pas trop risqué d’affirmer aujourd’hui, avec une certaine assurance, qu’Ehud Barak ne sera pas, dans un proche avenir, Premier ministre.
Voilà pourquoi Ehud Barak, qui fut un brillant militaire mais aussi un piètre politicien, peut continuer à faire des bruits d’oiseaux sur les plateaux télévisés, il n’inquiète guère Binyamin Nétanyaou. Les risques, ou les chances, de le voir redevenir un jour Premier ministre de l’Etat d’Israël, sont presqu’aussi infimes que ceux d’assister, dans un proche avenir, à la création d’un état palestinien.
Daniel Haïk