Parce que vous le valez bien
Consciemment ou non, nous caressons toutes le rêve de nous entendre un jour répondre par le miroir magique : « En cherchant à la ronde, dans tout le vaste monde, on ne trouve pas plus belle que toi ». Dans la paracha de la semaine, la Torah nous livre une « astuce beauté » qui tombe à merveille.
Un budget de toute beauté
80 433 euros. C’est la fort coquette somme que vous dépenserez tout au long de votre vie, que nous vous souhaitons très longue, pour soigner votre apparence. Un rouge à lèvres longue tenue par ci, un soin antivieillissement par là. Un abonnement en salle de sport une fois par an, et une séance manucure une fois par mois. Or, tout cela finit par chiffrer, comme l’attestent les résultats de cette étude menée par le site commercial Groupon en mars 2017. Mais peu importe l’addition plus salée que la boue de la Mer Morte qui vous attend. Après tout, et comme qui dirait, vous le valez bien.
Sacrée coquetterie
Côté judaïsme, on vous comprend jusqu’au bout des ongles. Vous voulez des preuves ? Vous en aurez. Pour commencer, le Talmud affirme que, durant les quarante ans où le peuple d’Israël vécut dans le désert, le Tout-Puissant fit descendre, en même temps que la manne, une poudre spéciale qui servait de base à la confection de cosmétiques féminins (traité talmudique Yoma, p.75/b) Comme quoi, pour certaines, soigner son « look » est un besoin aussi élémentaire que celui de s’alimenter. Ensuite, n’oubliez pas qu’au Tabernacle, le lieu qui accueillait la Présence divine sur terre, trônait le kiyor, une cuve en cuivre confectionnée exclusivement à partir des miroirs que les femmes d’Israël utilisèrent en Égypte pour s’embellir aux yeux de leurs époux (Midrach Tan’houma Parachat Pékoudé). Et ce n’est pas tout. On découvre, non sans surprise, que parmi les dix décrets qu’Ezra promulgua pour redynamiser la communauté au retour de l’exil de Babylone, figurait une clause autorisant le libre-commerce des bijoux, et ce afin que les épouses puissent plaire à leurs conjoints (traité talmudique Baba Batra, p. 21/b).
Une beauté fatale
Toutefois, avant de retourner à vos miroirs, jetez donc un coup d’œil à la paracha que nous lirons cette semaine. Vous y découvrirez un verset qui risque fort de ruiner votre mascara triple volume à force de battements de paupières. Mais avant cela, une brève remise en contexte s’impose :
Peu après l’arrivée d’Avraham en terre de Canaan, une terrible famine se déclare. Le patriarche et son épouse sont forcés de descendre en Égypte pour assurer leur subsistance. Tandis qu’ils s’approchent du Nil, Avraham aperçoit le reflet de Sarah dans l’eau et prend subitement conscience de sa beauté exceptionnelle. Et de déclarer : « Maintenant je sais que tu es une femme de belle apparence » (Béréchit 12, 11). « Maintenant ?! » vous exclamez-vous. Notre matriarche Sarah a-t-elle dû attendre d’entrer dans le club du troisième âge pour que son époux remarque – et complimente – son apparence ? Devinant votre légitime abasourdissement, Rachi nous explique qu’Avraham savait depuis longtemps que son épouse était belle. Toutefois, ce fut seulement à l’approche de la frontière égyptienne – à l’entrée d’un pays sinistrement célèbre pour ses mauvaises mœurs – que son apparence physique devint source de préoccupation, nécessitant la mise en place d’un subterfuge.
Le « ruban de charme »
Si ce commentaire aura le mérite de ralentir vos battements de paupières, force vous sera de constater qu’elle nécessite une lecture du verset qui s’éloigne quelque peu de son sens premier. En effet, selon le maître de Troyes, le mot « maintenant » ne se référerait pas à la découverte par le patriarche de la beauté de Sarah, mais à la nécessité de prendre des mesures pour éviter que cette dernière ne leur porte préjudice. Pour sa part, le Gaon de Vilna propose une interprétation plus littérale du verset problématique. Il nous explique que, lorsqu’une personne se distingue tout particulièrement par sa piété et sa vertu, le Tout-Puissant orne son visage de ce qu’on appelle un « ‘hout chel ‘hessed » – un ruban de charme. Cette grâce venue tout droit de D.ieu lui confère une apparence extrêmement agréable, même si, objectivement parlant, les traits de son visage ne sont pas forcément raffinés. Et s’il fut un personnage biblique qui incarna ce phénomène, ce fut assurément la reine Esther. Le Talmud nous révèle en effet que la nièce de Mordékhaï arborait un teint verdâtre, faille qui aurait dû la disqualifier d’emblée pour le concours de la Miss Perse & Mède. Et pourtant, si ce fut elle – et seulement elle – qui captura le cœur du roi Assuérus, c’est parce que ses qualités morales exceptionnelles lui valurent une grâce inégalée par toutes les autres candidates.
Aussi belle que bonne
À propos, existerait-il un moyen de faire la différence entre une beauté naturelle et une grâce due au « ruban de charme » ? Le Gaon de Vilna affirme que la distinction s’opère dans une situation où la beauté de l’individu risque de faire trébucher son entourage. Dans un tel cas, le « ruban de grâce » s’étiole, pour laisser uniquement place à sa beauté naturelle. (Bien sûr, il incombe à l’individu de s’assurer que cette dernière ne posera pas de danger spirituel à son entourage.)
Retournons maintenant à notre couple patriarcal. Bien avant leur arrivée en Égypte, Avraham savait pertinemment que Sarah était dotée d’une beauté hors-du-commun. Néanmoins, conscient du niveau spirituel, lui aussi exceptionnel, atteint par son épouse, il attribuait jusque-là sa beauté au « ruban de grâce » accordé par le Tout-Puissant. À sa vertu. À sa pudeur. À son intériorité particulièrement resplendissante. Mais lorsqu’il arriva aux abords de la terre des Pharaons et s’aperçut que, malgré le danger auquel pourrait les exposer son apparence, Sarah n’avait rien perdu de sa beauté, le patriarche comprit qu’elle était également dotée d’un physique particulièrement avantageux. Un physique qui risquait de faire tourner les têtes de ces pervers d’Égyptiens. D’où son exclamation empreinte d’inquiétude : « Maintenant je sais que tu es une femme de belle apparence » (D’après un article du Rav Israël Ciner paru sur Torah.org).
L’« astuce beauté » biblique
Quel que soit notre âge, nous courons toutes après la Beauté. Régimes draconiens, fièvre shopping ou tutos maquillage, nous caressons toutes le rêve de nous entendre répondre par le miroir magique : « En cherchant à la ronde, dans tout le vaste monde, on ne trouve pas plus belle que toi ». Tant que cette quête d’élégance rime avec décence, tant qu’elle n’est pas un but en soi mais un « accessoire » pour remplir au mieux notre rôle de femme et d’épouse, la Torah l’approuve et va même jusqu’à l’encourager. Et parce qu’elle sait combien nous y tenons, elle nous livre une « astuce beauté » qu’aucune blogueuse mode ne pourra jamais égaler : à l’instar de notre matriarche Sarah, ayons également à cœur de soigner notre « intérieur ». De « raffiner » notre personnalité. De « maquiller » nos éventuelles faiblesses sous une épaisse couche de bonté, de piété et de sensibilité. Et puis, un beau jour, le Tout-Puissant graciera nos visages d’un « ruban de charme » à faire pâlir de jalousie la plus luxueuse palette de maquillage. Et cette fois, nous le vaudrons bien…