Yom Kippour est, comme son nom l’indique, le « jour du pardon », le moment où D.ieu accepte d’effacer nos fautes en échange de notre sincère repentir. De ce fait, nous avons tendance à voir ce jour comme un cadeau offert à l’humanité, en oubliant qu’il s’agit avant tout d’un devoir à l’égard du Créateur…
Pour mieux comprendre la pertinence de ce point, relisons brièvement le passage de la Torah mentionnant le principe de Yom Kippour : « Ce sera pour vous un statut éternel : le septième mois, le dix du mois, vous mortifierez vos personnes (…) car en ce jour, on vous procurera l’expiation pour vous purifier de tous vos péchés : vous vous purifierez devant l’Éternel ! » (Vayikra 16, 29-30). En d’autres termes, il s’agit là avant tout d’un « statut éternel » – c’est-à-dire d’une obligation que D.ieu impose à chaque génération : il nous incombe de nous repentir non pas pour obtenir gain de cause lors de notre jugement, non pas pour nous assurer une bonne et douce année, mais parce que nous avons le devoir de « nous purifier devant l’Éternel » !
Le principe de ‘Hiloul Hachem
Au moment du Don de la Torah, le Saint béni soit-Il a clairement défini le rôle du peuple juif ici-bas : « Quant à vous, vous serez pour Moi un royaume de prêtres et une nation sainte » (Chémot 19, 6) – notre raison d’être est de nous consacrer à Son service, à l’instar de la « garde rapprochée » du Roi. Aussi, lorsque nous commettons un écart de conduite, ce n’est pas seulement à notre propre personne que nous portons atteinte, mais aussi – et surtout ! – à la vocation que nous incarnons et à la mission que nous représentons. Lorsqu’un homme transgresse la volonté de son Maître, il souille la dignité à laquelle il a été élevé et porte ainsi préjudice à Son honneur. C’est précisément là la notion de ‘Hiloul Hachem – la « profanation du Nom divin », que toute faute implique à un certain degré : en commettant un tel acte, nous portons outrage à la fonction suprême que nous remplissons, celle de « sentinelle » affectée au service du Maître du monde.
En ce sens, le Talmud cite ce célèbre verset du prophète Yéchaya (58, 13) : « Si tu considères (…) la sainteté de D.ieu avec honneur… », et nos Sages de commenter : « Cela fait référence à Yom Kippour » (Chabbat 119/a). En effet, ce sont l’honneur et le respect de D.ieu qui prévalent à Yom Kippour, et c’est par égard pour ces valeurs que nous devons nous repentir en ce jour. Si nous avons le devoir – au sens strict du terme – de nous repentir en ce jour, c’est avant tout parce que nous devons être à la hauteur du rôle qui nous a été assigné.
Purifier le sanctuaire
Cette idée transparaît également à travers le service sacerdotal qu’effectue le Grand Prêtre pendant Yom Kippour. L’objectif de ce service est ainsi décrit dans la Torah : « Il purifiera ainsi le sanctuaire des impuretés des enfants d’Israël. (…) Il agira de même pour la Tente d’assignation, [car] Il réside au milieu d’eux, parmi leur impureté » (Vayikra 16, 16). En substance, cela revient à dire que la purification réalisée pendant Yom Kippour a pour but de permettre à la Chekhina de résider au sein du peuple juif !
En effet, telle était bel et bien la raison d’être du tabernacle, et par la suite celle du Temple de Jérusalem : « Ils Me feront un sanctuaire et Je résiderai parmi eux » (Chémot 25, 8). Cette indication apparaît encore à la fin des chapitres de la construction du tabernacle : « Ils sauront que Je suis l’Éternel, leur D.ieu, qui les ai fait sortir du pays d’Égypte pour résider au milieu d’eux » (ibid. 29, 46). Ces sanctuaires étaient en quelque sorte le point d’ancrage de la Présence divine ici-bas : grâce à eux, la Chekhina peut élire résidence dans ce monde et l’imprégner de sainteté. Mais pour cela, il faut que le « réceptacle » – à savoir le peuple juif et le sanctuaire édifié en son sein – soit digne de cette sainteté. Aussi, toute « impureté » – au sens large du terme – touchant le sanctuaire conduit la Chekhina à s’en éloigner et à se retirer de ce monde. C’est d’ailleurs là la cause fondamentale de la destruction du Temple : lorsque les hommes ne sont plus dignes d’accueillir la Présence divine parmi eux, celle-ci se retire automatiquement du sanctuaire, qui ne demeure alors qu’un « monticule de terre et de pierre ».
Néanmoins, même après la disparition du Temple, la Chekhina peut encore élire résidence parmi les hommes, quoique seulement partiellement. C’est notamment le cas des hommes ayant les dispositions requises pour l’accueillir près d’eux, comme l’enseignent nos Sages : « Lorsque dix hommes se regroupent pour étudier la Torah, la Chekhina réside parmi eux. (…) Et d’où savons-nous [qu’elle se manifeste] même si cinq [hommes étudient la Torah] ?(…) Et d’où savons-nous que même avec trois [hommes] ?… Et d’où savons-nous que même si un homme [étudie la Torah, la Torah repose près de lui] ? Du verset : “En tout endroit où Je ferai appeler Mon Nom, Je viendrai vers toi et te bénirai !” (Chémot 20, 21) » (Pirké Avot 3, 6). De prime abord, cet enseignement semble surprenant : à partir du moment où la Chekhina repose même auprès d’un seul homme étudiant la Torah, pourquoi la michna a-t-elle besoin de justifier qu’elle se trouve également parmi dix, cinq, trois ou deux hommes ? Car comme nous l’avons vu, la Chekhina peut se manifester ici-bas avec différents degrés d’intensité. Aussi, même si cette Présence divine atteint son niveau suprême dans le Temple de Jérusalem, à l’intérieur du Saint des saints, elle peut encore se manifester, certes à un degré moindre, en de nombreuses autres circonstances ou situations. C’est ainsi que même un seul homme qui étudie la Torah peut mériter de voir la Chekhina se tenir à ses côtés, pour autant qu’il soit digne d’en devenir le réceptacle.
Or, c’est précisément là le but de Yom Kippour. Comme nous l’avons vu, ce jour est destiné à « purifier le sanctuaire des impuretés des enfants d’Israël » – c’est-à-dire à apporter l’expiation pour toutes les formes d’impureté ayant été en contact avec le Temple, afin que la Chekhina puisse continuer d’y résider. Cette fonction était de la plus haute importance vis-à-vis du Temple, et elle l’est également pour chaque individu, qui peut – et doit – devenir un réceptacle pour la Chekhina. Cette journée d’expiation a donc pour but de laver toutes les formes d’impureté qui auraient contaminé l’individu tout au long de l’année, afin qu’il reste digne d’accueillir la Présence divine auprès de lui, proportionnellement à son niveau.
Là encore, nous voyons qu’à Yom Kippour, nous ne devons pas contenter de nous soucier de notre « petit confort », et d’obtenir le pardon divin afin de nous assurer une bonne existence durant le reste de l’année. Nous devons au contraire envisager ce jour dans une perspective bien plus élevée. Bien au-delà de notre sort personnel, le pardon obtenu à Yom Kippour est nécessaire pour que nous soyons dignes d’être un « réceptacle de sainteté ». Et ce, afin que la Chekhina puisse emplir le monde et conduire ainsi celui-ci à son but ultime : faire resplendir Sa connaissance à travers toute l’humanité !