Le 10 juillet 1947, le vieux rafiot Président Warfield – rebaptisé quelques jours plus tard en pleine mer Exodus 1947 – quitte le port français de Sète à destination d’Erets Israël avec à son bord 4 500 passagers clandestins, hommes, femmes et enfants, tous rescapés de la Shoah. Les Britanniques, dont le Livre Blanc étrangle l’immigration juive en Palestine, interceptent le bateau près de Haïfa et font ramener de force ces milliers de passagers exténués en France, puis en Allemagne… Malgré cette déconvenue, l’épopée de l’Exodus aura, au sein de la communauté internationale, un impact déterminant sur la nécessité de créer, pour les rescapés de la Shoah, un état juif indépendant .
Depuis la fin de la 2e Guerre mondiale, des centaines de milliers de Juifs déplacés attendent dans les camps en Allemagne, en Autriche et en Italie. Parmi eux, des rescapés et survivants de la Shoah qui ne veulent ou ne peuvent retourner dans leur pays d’origine. Pendant ce temps à Chypre, des milliers de ces rescapés sont parqués dans un vaste camp d’internement par les Britanniques après que ces derniers leur ait refusé l’entrée en Palestine mandataire. Mais en dépit de ces revers, les agents de l’Alya Beth ne se désespère pas et ils continuent d’affreter des bateaux qu’ils remplissent de Juifs rescapés et dont la mission sera d’échapper à la vigilance des Britanniques et d’atteindre les cotes du futur état hébreu. L’un de ces bateaux sera le Président Warfied, un rafiot qui devait partir à la casse et qui va transporter au départ de Sète pres de 4500 passagers qui n’ont qu’un objectif: s’installer sur la terre de leurs ancêtres.
L’énorme défi de l’Exodus à la puissance mandataire britannique
A l’embarquement ces passagers qui sont dans leur grande majorité originaires d’Europe Centrale ont fait disparaitre tous leurs papiers. Quant au capitaine du navire, Ike Aaronovitz, il n’a que 23 ans et n’a pas produit le certificat de sécurité exigé par les conventions internationales et la loi française : il n’avait donc nullement le droit de prendre des passagers à son bord.
Face à ces imbroglios juridiques, la direction de l’Aliya Beth décide de faire partir le bateau de Sète en mettant le cap en direction de l’Espagne. Son périple impressionnant durera plusieurs mois(voir encadré).
C’est donc un double bras de fer qui se joue : le 1er oppose l’Aliya Beth qui veut imposer le droit des Juifs à immigrer librement en Palestine avec les autorités britanniques, maîtresses de ce territoire, qui n’entendent pas se laisser imposer une solution annihilant leur politique arabe ; le 2e oppose Londres à Paris, où le gouvernement, alors dirigé par le socialiste Ramadier, soutient l’installation des Juifs en Palestine.
Un échec transformé en victoire juive !
C’est que l’épopée humaine de l’Exodus et son refoulement en Allemagne vont créer un tel sentiment d’indignation dans l’opinion internationale qu’ils influenceront la commission anglo-américaine enquêtant au même moment en Palestine. Ce qui aboutira d’abord, quatre mois plus tard, à la décision historique du Plan de Partage de la Palestine prise par l’ONU le 29 novembre 1947.
Et donc, le paradoxe incroyable de cette affaire, c’est que même si elle s’est soldée par un échec à court terme (les émigrants ont été expulsés de Palestine), elle a aussitôt attiré l’attention sur le problème des réfugiés juifs en constituant une étape significative vers la reconnaissance de l’Etat d’Israël par l’ONU, un an après, le 14 mai 1948.
Si Londres a tout de même réussi à empêcher l’arrivée massive de survivants de la Shoah en Palestine avant la naissance de l’État d’Israël – croyant éviter ainsi un large soulèvement arabe contre le Mandat –, l’immoralité et l’inhumanité de la politique d’immigration anglaise, largement dénoncées par la presse internationale, ont débouché sur une nette victoire politique des Juifs. Et au final, de nombreux immigrants ont pu finalement rejoindre Erets Israël après la création de l’Etat hébreu. Richard Darmon