Au sein du peuple juif, Hachem a désigné les Leviim afin qu’ils accomplissent le service du Tabernacle et du Temple : « J’ai donné les Léviim à Aharon et à ses fils, du milieu des enfants d’Israël, pour qu’ils fassent le service des enfants d’Israël dans la Tente d’Assignation, pour qu’ils fassent l’expiation pour les enfants d’Israël, et pour que les enfants d’Israël ne soient frappés d’aucune plaie, lorsque les enfants d’Israël s’approchent du Sanctuaire » (Bamidbar8, 19). On remarque que dans ce verset, les « enfants d’Israël » sont évoqués à cinq reprises : « En citant dans ce verset cinq fois les enfants d’Israël, selon le même nombre que les cinq Livres de la Torah, Hachem atteste Son amour à leur égard » (Midrach, Rachi). Pourquoi D.ieu doit-Il rappeler Son amour précisément à cet endroit ?
Une tribu qui se distingue des autres
En réalité, Hachem a distingué les Leviim pour Lui-même: « Tu sépareras les Léviim du milieu des enfants d’Israël; et les Léviim M’appartiendront » (8, 14). Voici ce qu’écrit le Rambam à ce sujet : « Pourquoi Levi n’a-t-il pas reçu de part en terre d’Israël et son butin ? Car il a été distingué pour servir Hachem et pour enseigner au peuple Ses droits chemins et Ses justes préceptes, comme le verset dit : “Ils enseignent Tes Lois à Yaacov et Ta Torah à Israël”(Dévarim 33, 10). À cet effet, il a été séparé des usages ordinaires : il ne sort pas en guerre comme les autres juifs, il n’hérite pas de part dans la terre et ne gagne rien par lui-même ; les Léviim sont l’armée de D.ieu » (Lois sur la Chémita et le Yovel 13, 12).
En vérité, il n’est nullement nécessaire de naître Lévi pour mériter ce privilège, comme l’explique le Rambam par la suite : « Pas uniquement la tribu de Levi, mais chaque homme porté par son esprit à se séparer du monde pour Le servir, qui marche droit comme D.ieu l’a créé et qui se débarrasse des gênes dont les hommes ont tendance à s’embarrasser, devient saint devant Hachem. Il sera Sa part et Son héritage pour l’éternité, et Hachem lui procurera ce dont il a besoin ici-bas, comme Il l’avait fait pour les Cohanim et les Léviim… » (idem). Cette conduite correspond à celle préconisée par Rabbi Chimon Bar Yo’haï, qui consiste à étudier la Torah sans s’inquiéter de sa subsistance. Rabbi Yichmaël, par contre, préconise aux hommes de se conduire selon leur nature et de pourvoir eux-mêmes à leurs besoins. Le Talmud constate que la ligne de conduite de Rabbi Chimon bar Yo’haï a réussi aux particuliers, et que celle de Rabbi Yichmaël convient mieux au grand public (Bérakhot 36/b).
Une triste rivalité
Cependant, le fait que les Leviim et ceux qui, comme eux, se distinguent du grand public, pourrait provoquer chez les ignares de la jalousie, voire de l’animosité : « La haine des ignares envers les sages est plus forte que celle des nations envers le peuple juif. Rabbi Akiva dit : “Lorsque j’étais encore un ignare, j’étais prêt à mordre les sages et à leur briser les os”» (Pessa’him 49/b). Ils considéraient les sages, qui ne partageaient pas leur repas et leurs autres activités avec les incultes, comme des confréries fières et suffisantes (Tossefot Kétouvot 62/b).
Voici une illustration de ce conflit : lorsque Rabbi Chimon Bar Yo’haï et son fils rabbi Eléazar sortent de leur grotte, ils voient des gens travailler la terre. Pour eux, il est inconcevable que l’on puisse délaisser l’étude et de leur regard, ils « brûlent tout ce qui se présente à leurs yeux » (Chabbat 33/b). C’est-à-dire, leurs yeux « inquisiteurs » pourraient inciter les gens à délaisser leur travail, si bien que tous les imiteraient. Or comme nous l’avons vu, cette attitude n’est pas préconisée pour la majorité des gens. En effet, ne trouvant pas de quoi se nourrir et souffrant de la misère, ils seraient amenés à voler et à transgresser le Chabbat : « Ne pas enseigner à son fils un métier pour sa subsistance revient à lui apprendre à voler » (Kiddouchin 29/a). Nos maîtres enseignent encore : « Chémaya dit : “Aime le travail et ne le déteste pas ! Pendant six jours tu travailleras et le septième jour tu te reposeras ; l’homme qui ne travaille pas pendant les six jours [de la semaine], se trouvant démuni, risque de se lier à des bandits, puis il finira en prison, où on le contraindra à travailler le Chabbat » (Avot déRabbi Nathan 11, 1).
Pour ne pas « brûler » ainsi les gens, une voix céleste ordonna à Rabbi Chimon et à son fils de regagner leur grotte. Douze mois plus tard, ils sortirent de cet « enfer », et ce que Rabbi Eléazar « frappait » de son regard sévère, Rabbi Chimon le guérissait, réconfortant les gens avec son regard bienveillant. Ils voient alors un vieillard courir avant Chabbat avec deux tiges de myrtes, l’une vis-à-vis de « Zakhor » – l’honneur du Chabbat – et l’autre pour « Chamor » –son observance. À la vue de ce juif qui travaillait la semaine pour sa subsistance, afin de pouvoir respecter le Chabbat correctement, leur désarroi s’apaisa, jusqu’à ce que Rabbi Chimon déclarât à son fils : « Le monde peut se suffire de toi et de moi [en tant qu’hommes se consacrant à l’étude sans se soucier de leur gagne-pain] » (Chabbat idem).
Un amour sans distinction
Revenons à présent au verset indiquant que Hachem a choisi les Leviim et les a distingués pour Son service. Pour ôter tout malentendu, animosité, complexe et haine entre les Léviim et les autres tribus – entre les érudits et le commun des hommes – Hachem cite dans ce verset les « enfants d’Israël » à cinq reprises, comme les cinq livres de la Torah. Il leur témoigne ainsi Son immense amour, en les considérant comme faisant partie de ceux qui vouent leur vie à l’étude des cinq Livres de la Torah.
De nos jours aussi, il est impératif que le peuple entier respecte, chérisse et apporte sa contribution à la « tribu de Lévi » : ceux qui étudient la Torah à longueur de temps et ceux qui l’enseignent, comme le faisait la tribu de Lévi, à qui les juifs offraient leurs dîmes. Ainsi, le peuple doit savoir que Hachem éprouve un immense amour à l’égard de tous les gens qui travaillent honnêtement afin de nourrir leur famille, et d’éduquer leurs progénitures dans le chemin de la Torah et des mitsvot.