Aujourd’hui la gauche idéologique israélienne a tendance à vanter le « pragmatisme » de Menahem Begin et sa modération qui ont permis, par exemple la signature du traité de paix avec l’Egypte. Mais il n’en a pas toujours été de même. Loin sans faut. Car il y a 40 ans, cette gauche « éclairée » considérait le chef du Likoud comme un dangereux fasciste va-t’en guerre. Rappel historique d’un tournant majeur dans la vie politique israélienne.
« Mahapakh ». C’est par ce mot devenu célèbre que le présentateur vedette de la télévision israélienne ‘Haïm Yavin avait annoncé, il y a 40 ans, le 17 mai 1977, au soir lavictoire électorale du Likoud et l’arrivée au pouvoir, pour la première fois, de Menahem Begin. Selon certains linguistes, « Mahapakh » est, le nom en hébreu qui signifie renversement. Certains dictionnaires vont même plus loin en parlant de « coup d’Etat » ! De facto, l’utilisation d’une terminologie pour résumer la première victoire de la Droite nationaliste aux Législatives israéliennes n’était pas anodine dans la bouche de celui que l’on appelait alors très consensuellement Mr Télévision et qui, ces dernières années, a dévoilé son positionnement très gauchisant. Ce faisant Yavin ne faisait que refléter le sentiment d’une frange importante de la société israélienne qui jusque-là avait assisté au règne hégémonique de la gauche travailliste, du Mapaï historique au Avoda. En effet, pour beaucoup d’Israéliens, les résultats de ce scrutin du 17 mai ont eu l’effet d’un terrible tremblement de terre. Pour la première fois, ils ressentaient la douloureuse impression de voir leur « Etat » se dérober sous leurs pieds et tomber entre les mains des « fascistes juifs », termes qu’ils utilisaient alors ouvertement pour qualifier les membres du Likoud. Pour eux, Menahem Begin venait de s’emparer illégalement d’un pouvoir auquel, selon eux, ils étaient destinés pour l’Eternité.
Car c’était bien là l’état d’esprit qui dominait au soir du 17 mai et pendant les semaines et les mois qui suivirent. Et pour s’en convaincre, il suffit de découvrir les stupéfiantes réactions des leaders de la gauche travailliste à la suite de leurs terrible Berésina électorale.
Il n’est pas exagérer de parler de véritable hystérie, doublée d’arrogance et de mépris qui s’est emparée de la gauche israélienne et de ses porte-parole. Dans une analyse éloquente de cette période, Hertzl et Balfour Hakak, deux écrivains et journalistes renommés en Israël, expliquent que durant cette période les vaincus de la Gauche n’ont cessé d’accuser la droite nationaliste de Begin d’injures, plus grossières les unes que les autres : pour la gauche israélienne, une fois au pouvoir Begin allait tour à tour, provoquer une crise diplomatique avec l’Amérique de Carter, puis plonger l’Etat d’Israël vers la guerre avant de suivre l’exemple de Mac Carthie aux Etats-Unis en nommant des commissaires politiques. Certains ont même osé assimiler l’arrivée de la droite nationaliste au pouvoir en Israël à la montée des Nazis nazis en 1933… Le 3 juin 1977, un organe de la gauche israélienne « Hotam » écrit : « Nous devons nous faire une raison : le bon vieil Etat d’Israël (qui n’a alors que 29 ans!), cet Etat dont nous étions les représentants est en passe d’être détruit… Nous sommes en train de vivre la fin d’une époque dans l’histoire du sionisme…. Nous ressentons un sentiment de destruction. Cet Etat tel que nous l’avons connu n’existe plus…Nous allons vers le suicide ». A cette même époque, l’écrivain Amos Oz qui s’apprête à créer le mouvement la Paix Maintenant, précisément parce qu’il est persuadé que Begin va précipiter le pays vers une nouvelle confrontation avec le monde arabe, appelle à la « réouverture du Palma’h », à des manifestations dans les rues et à dresser des barricades. Pour le professeur Gabriel Cohen, qui dirige alors l’institut de recherche du sionisme, c’est la guerre des Six Jours qui par son résultat a donné libre cours à l’expression d’une idéologie nationaliste.
Pour la première fois, cette gauche israélienne qui se prétend libérale, admet que la liberté d’expression n’est plus légitime lorsqu’elle favorise l’expression d’idées qui vont à l’encontre de celles du socialisme israélien…
Dans un éditorial paru en septembre 1977, soit quelques mois plus tard, le professeur Zeev Sternhell perçoit un fossé béant entre deux formes de sionisme : « D’une part, un sionisme libéral, modéré et ouvert, qui s’exprime auprès d’une population plus mure et plus instruite, et de l’autre, un sionisme agressif, extrémiste, clérical, qui nie au prochain le moindre droit et qui est portée par les « Orientaux et les couches sociales défavorisées ». »
Même après la visite historique d’Anouar el Sadate à Jérusalem en novembre 77 et alors que le gouvernement « fasciste » de Menahem Begin pose les jalons de ce qui constituera l’accord de paix entre Israël et l’Egypte (qui inclut un retrait de l’intégralité de la péninsule du Sinaï), la gauche israélienne conserve sa rancœur, voire sa haine farouche envers ce gouvernement. Ainsi l’écrivain Yoram Kaniouk parle de « ce gouvernement étranger qui nous dirige », et vante les mérites de Chalom A’hchav qui est « la meilleure chose qui nous soit arrivée ». Et justement à propos de Chalom A’hchav (La paix maintenant), l’un de ses leaders Tsali Reshev émet des menaces de rébellion civile en 1978: « Nous allons ôter nos chemises blanches et forcer le gouvernement à adopter nos positions ». Et ces militants n’hésitent pas à clamer que le Gouch Emounim fait courir, « un danger de destruction de la démocratie ».
Voilà donc résumé, en quelques citations, l’état d’esprit qui anime la gauche israélienne au lendemain de sa défaite électorale du 17 mai 1977.
Au lieu de se livrer à un véritable examen de conscience qui lui aurait permis de comprendre le désaveu que l’opinion publique venait de lui signifier ; au lieu de comprendre que le germe de cette défaite électorale se situait dans l’arrogance dont ses leaders politiques et militaires ont fait montre à la veille du déclenchement de la guerre de Kippour et dans l’usure du pouvoir, caractérisé par des scandales de corruption, la gauche a préféré s’en prendre à Menahem Begin, et s’est arraché les cheveux en comprenant que ce « Polonais » avait été porté au pouvoir par le « second Israël », par ces sépharades qui, après avoir été coupés de leurs traditions, avaient été socialement humiliés par le pouvoir travailliste qui leur refusait systématiquement l’accès aux élites intellectuelles uniquement parce qu’ils brandissaient l’étendard nationaliste et rejetait le socialisme.
Aujourd’hui, près de deux générations plus tard, cette même gauche israélienne qui s’effrite, et qui désespère de retrouver un jour les rênes du pouvoir, paraît enfin manifester d’étonnantes dispositions en faveur de Begin. Celui dont Ben Gourion ne prononçait jamais le nom – il disait avec mépris : « ce député, assis à côté du député Bader »- est aujourd’hui devenu le pragmatique Begin. Celui qui a su faire un compromis territorial pour parvenir à la paix avec l’Egypte, celui qui a accepté le principe d’une autonomie pour les Palestiniens.
Comme la roue de la politique israélienne tourne !
40 ans plus tard, il était important de le rappeler.
Daniel Haïk