La problématique de l’éducation
L’objectif de l’éducation des enfants et des élèves est de les amener à devenir, à l’âge adulte, de fidèles serviteurs de D.ieu. Or, servir D.ieu implique nécessairement l’acceptation du joug de la Torah et des mitsvot, alors que la tendance naturelle de l’homme est d’aspirer à la liberté, de s’affranchir de toute contrainte. Son inclination spontanée est de refuser tout joug.
Comme nos Sages le soulignent, l’esclave se complaît dans sa condition d’esclave, car il s’y sent hefker, c’est-à-dire libre de toute obligation morale et, par voie de conséquence, de tout devoir social. Il est également écrit dans Iyov (11, 12) : « L’ homme, à la naissance, est comme un ânonsauvage », dans la mesure où chez l’enfant, cette tendance est encore plus perceptible car plus accentuée. Par exemple, si l’on propose à un enfant un bonbon, il s’en empare et s’enfuit en courant. On aura beau le rappeler en le priant de dire merci, il refusera. Cela provient du fait que depuis sa naissance, il est habitué à ce que tous ses besoins soient comblés. Lorsqu’il est nourrisson, il pleure et hurle dès qu’il a faim jusqu’à ce qu’on lui procure sa nourriture. S’il n’est pas propre, il n’aura de cesse de grogner que lorsqu’on l’aura changé. Puis il grandit, et il voudrait que cette situation perdure. Mais le moment est venu de lui apprendre à dire merci, à attendre patiemment, à effectuer de lui-même ce dont il est capable. Pour l’enfant, cette période constitue un bouleversement douloureux : passer de la désinvolture à la docilité, de l’insoumission à la discipline, de l’anarchie à la responsabilité n’est en effet pas chose aisée. Mais si cette nouvelle situation est difficilement acceptable pour notre petit « péré adam » (enfant sauvage), nous avons néanmoins la possibilité et le devoir de l’y entraîner.
Définition de l’éducation
Rachi (dans Béréchit 14, 14) interprète le mot « ‘ hinoukh » [éducation] en ces termes : « Il s’ agit d’ introduire une personne ou un instrument dans le rôle qu’ il sera appelé à avoir dans le futur ». Autrement dit, il s’agit d’exercer l’enfant à se comporter conformément au rôle qu’il devra jouer plus tard. En ayant recours à une répétition continuelle d’actes et de gestes, on l’entraîne à endosser son rôle futur et à assumer ses responsabilités. Même si cela paraît difficile, il s’agit d’une tâche accessible pour qui se conforme à des méthodes d’éducation adéquates. Voyons à présent en quoi consiste concrètement l’éducation.Quelle est la règle de conduite à suivre ? Faut-il punir et réprimer ? Inspirer la terreur ? Certes non ! Néanmoins, il faut savoir que malgré sa nature rebelle, l’enfant reste comme un morceau d’argile confié entre les mains d’un sculpteur. Lorsque l’on veut imposer sa volonté à un enfant, il faut le lui formuler sur un ton calme et posé. A coup sûr, il refusera d’emblée d’obéir, à cause de cette tendance égoïste mentionnée auparavant. Mais au demeurant, l’éducateur dispose des moyens d’atteindre son objectif.
L’effet miracle de la persévérance
Si l’enfant comprend que son père ou sa mère sont déterminés dans leur position, il finira sans nul doute par obéir et se soumettre à leur volonté. L’entêtement et la révolte qui se manifestent chez l’enfant (comme la plupart des problèmes pédagogiques) découlent directement du manque de détermination des parents ou éducateurs. Les problèmes de désobéissance se rencontrent lorsque les parents renoncent à leurs exigences, parce qu’ils sont trop occupés, parce qu’ils se trouvent en présence de personnes étrangères, ou encore par excès d’affection envers l’enfant. L’enfant sent intuitivement que si ses parents ont déjà cédé à plusieurs reprises, il pourra continuer à abuser d’eux et il les poussera dans leurs retranchements, au gré de ses caprices. Il développera des réactions d’entêtement, qui risquent fort par la suite de l’inciter à devenir un enfant révolté.
Le problème des parents qui cèdent
Les parents ont du mal à concevoir que s’ils font preuve de faiblesse, voire d’incohérence dans leur rapport avec leur enfant, ils seront amenés à céder sans cesse davantage et seront ainsi entraînés dans une pente très dangereuse. En cédant, ils suscitent une réaction d’entêtement chez leur enfant, qui découvre qu’il peut refuser d’obéir puisque ses parents se plient à ses désirs. Entraînés dans un cercle vicieux, ils se verront contraints de céder encore et toujours. Mais bien souvent, les parents viennent à éprouver à leur tour de la colère pour leur enfant. Lui, pour sa part, ne comprend pas cette réaction : il se révolte donc et se positionne en victime. Les parents se mettent à punir systématiquement, et cela crée un engrenage infernal qui envenime tragiquement la situation. Ainsi, il apparaît que la clé d’une éducation réussie réside dans la persévérance et la détermination de l’éducateur. C’est ce qui permettra à l’enfant d’assimiler la notion d’interdit et l’obligera à cesser de mal se comporter. Il faut que l’enfant soit progressivement amené à comprendre qu’il n’a pas d’autre choix que d’obéir, car la persévérance ferme et tranquille de ses parents s’insinuera peu à peu en lui. En intégrant ce message, l’enfant n’aura pas de tendance à la révolte ; il acquerra naturellement l’obéissance et l’esprit de discipline, car il comprendra petit à petit que ses parents ou éducateurs ne cherchent pas s’opposer à lui par principe, mais simplement à le résonner.
Une éducation non réussie
Il faut comprendre un autre point fondamental : si une méthode d’éducation (et plus encore, une punition) n’est pas acceptée avec compréhension par l’enfant, cela signifie que la méthode est inefficace, voire même nuisible. Pourquoi ? Parce que comme nous l’avons vu, le ‘ hinoukh a pour but d’habituer l’enfant à adopter un certain comportement. Or ici, au contraire, on développe chez lui l’intime conviction que l’on s’acharne contre lui, ce qui ne peut qu’entraîner une nouvelle dégradation des relations. Cela ne signifie pas qu’un enfant ne doive jamais être puni. Parfois il est au contraire important de lui montrer avec la plus grande fermeté que son acte est inacceptable, au risque de susciter chez lui une réaction de pleurs. Cependant, il faut toujours garder à l’esprit que l’éducation ne se limite en aucun cas à une série de châtiments. La punition ne peut être efficace que si les parents ou les éducateurs ont la certitude que l’enfant l’acceptera et en saisira le sens véritable. En conclusion, le secret d’une éducation réussie réside dans la préparation progressive, explicative et surtout constante de l’enfant à accomplir des actes positifs, et à prendre de bonnes habitudes. Cela ne peut s’accomplir que dans le calme et la sérénité, non dans une atmosphère de tension et de contrainte, mais surtout dans la persévérance et la constance.
L’enfant ne sachant pas questionner
Cette idée essentielle ressort également de l’un des quatre types d’enfants que mentionne la Haggada de Pessa’h : celui qui ne sait pas questionner. Il nous faut tout d’abord définir qui est au juste cet enfant : Pourquoi ne sait-il pas questionner ? Serait-ce par manque d’intelligence, ou bien existe-t-il un obstacle intérieur qui le freine ? Nous allons nous aider des commentaires de nos Sages pour percer cette énigme.
Le texte de la Haggada est le suivant : « Quant à celui qui ne sait pas questionner, prends les devants comme il est écrit : “Tu parleras ce jour-là à ton fils en disant, c’ est grâce à ceci qu’ Hachem a agi en ma faveur quand je suis sorti d’ Egypte”. On pourrait penser que l’ obligation de raconter la sortie d’ Egypte commence à partir du premier jour du mois de Nissan, la Torah précise donc : “en ce jour”. Mais “en ce jour” pourrait désigner la journée du sacrifice pascal, qui est la veille de Pessa’ h ! C’ est pourquoi la Torah spécifie : “grâce à ceci” expression qui ne peut s’ appliquer qu’ au moment où la matsa et le maror sont posés devant toi ». Ce texte de la Haggada commente un verset de la Torah afin d’éclaircir quand doit avoir lieu la mitsva du récit de la sortie d’Egypte. Et cela pour aboutir à la conclusion que ce récit doit se dérouler précisément le soir du séder, lorsque la matsa et le maror sont posés devant nous. Quel est le message contenu dans ce commentaire ? En quoi est-il particulièrement adapté à l’enfant qui ne sait pas questionner ? Il est clair que ce texte cherche à s’adresser à cet enfant si particulier, de la façon la plusadaptée possible. Par ailleurs, il est aussi clair que cet enfant n’est pas stupide, auquel cas on l’aurait clairement spécifié.
Une question de midot
En réalité, la préoccupation de nos Sages dans ce passage relatifs aux « quatre fils » est centrée sur les midot (qualités morales). La question ne se situe pas à un niveau intellectuel, mais on s’interroge ici sur la façon la plus adéquate de transmettre un message pédagogique à un enfant en prise avec sa personnalité et ses traits de caractère. Pour éduquer un enfant, il faut au préalable avoir une maîtrise du domaine des midot et de la psychologie infantile, puis se pencher plus précisément sur le caractère de l’enfant précis auquel nous voulons venir en aide. Alors seulement, il sera possible d’adopter un comportement adéquat à son égard. Cette tâche est loin d’être aisée, mais c’est le défi que doit relever tout éducateur.
L’indifférence
Cet enfant qui ne sait pas questionner ne souffre donc pas de retard dans son développement cérébral. Ce n’est pas un obstacle intellectuel qui l’empêche de questionner, mais c’est une mida, un trait de caractère qui a pour nom : l’indifférence. Cet enfant ne s’intéresse à rien. Ni la question, ni la réponse, ni les commentaires, pas plus que les développements analytiques : tout l’indiffère. Malheureusement, nous croisons ce genre d’enfant quotidiennement et ce ne sont pas seulement des enfants qui ne savent pas questionner, car même une grande partie des adolescents sont eux aussi concernés par ce problème. Cette indifférence « pathologique » plonge les parents dans un grand désarroi et les frustre profondément.
La raison de cette indifférence
Pourquoi cet enfant est-il indifférent à tout ? Cette question est très vaste et nous n’avons pas la prétention de la traiter ici de manière exhaustive. Cependant, nous nous efforcerons d’en développer un aspect important. On peut affirmer en effet que l’éducation laxiste des parents –qui consiste à tout permettre et à ne rien interdire – aboutit à de telles conséquences tragiques. Les parents croient qu’il ne faut rien refuser à l’enfant, et ce petit grandit en égoïste, dans un état d’esprit entièrement tourné sur lui-même. Il s’habitue à ce que l’on pourvoie à tous ses besoins, que tous ses désirs soient à chaque instant réalisés, et rien d’autre ne l’intéresse. Les parents d’un tel enfant doivent se rendre à l’évidence. La méthode dure des remontrances, des cris et des punitions, est désormais inefficace chez cet enfant blasé de tout. Les parents ont échoué dans une partie de l’éducation de leur enfant, il ne reste qu’une seule méthode possible, qui réside dans l’exemple personnel. La Haggada recommande donc de raconter à l’enfant qui ne sait pas questionner le récit de la sortie d’Egypte non à Roch ‘Hodech, ni même la veille de Pessa’h, mais seulement lorsque la matsa et le maror sont posés devant nous sur la table. Cela signifie que cet enfant doit être témoin de la sincérité et de l’ardeur qui animent ses parents, lorsqu’ils viennent à accomplir les mitsvot de la Torah. C’est le seul moyen de faire sortir cet enfant de l’indifférence dans laquelle il est plongé. Ce n’est pas seulement à Pessa’h, mais également tout au long de l’année que ce fils devra assister à ces preuves de sincérité, de foi et de ferveur dans la vie juive familiale. Peu à peu, ces témoignages l’imprégneront intérieurement, car il reste conscient de son échec et de son manque moral. Il n’ignore pas être dans une impasse dont il ne parvient pas à se dégager. Toutefois, l’exemple permanent de ses parents finira par éveiller l’étincelle juive qui sommeille en son for intérieur, et qui jaillira et éclairera sa vie. A ce moment-là, il abandonnera certainement la voie dans laquelle il s’est égaré.
L’expression de la Haggada :« Tu prendras les devants » se traduit littéralement : « Tu lui ouvriras la voie ». Nos Sages ont remarqué que cette expression est formulée au féminin. Cela signifie que le père en perte de force et de moyens – comme s’il était une femme – face à l’éducation de cet enfant, n’aura d’autre recours que le secret de l’exemple personnel pour tenter de sauver son éducation.