Pour qui réside en Israël, il semble désormais bien établi qu’il faut se rendre à Méron pour célébrer Lag BaOmer. A défaut, on allumera un grand feu – une médoura −avec des amis. Mais en a-t-il toujours été ainsi ? Flash-back historique sur les raisons d’une célébration qui attire près d’un demi-million de personnes en Galilée…
Il faut d’abord rappeler que quatre événements particuliers se sont déroulés le 33e jour du compte du Omer, qui tombe toujours le 18 du mois de Iyar: 1) Le Idra Rabba (littéralement « La Grande Assemblée »), l’un des livres du Zohar, rapporte qu’en ce jour Rabbi Chimon Bar Yohaï rassembla 9 de ses disciples pour leur révéler des secrets de nature mystique avant de quitter ce monde. 2) Ce même jour, la mortalité qui frappa 24 000 élèves de Rabbi Aquiba cessa (comme ramené dans le commentaire du Méiri sur Yévamot 62b). 3) Selon d’autres sources (Sdé Hémed, Méam Loèz Vayétsé p.576), c’est en ce jour que Rabbi Aquiba commença à enseigner à ses 5 disciples : Rabbi Chimon, Rabbi Méir, Rabbi Néhémya, Rabbi Yéhouda et Rabbi Yossi. 4) Enfin, rav Moché Sofer (1767-1840, auteur du ͚ Hatam Sofer) a établi que c’est le jour où la génération du désert a reçu la manne. Sortis d’Egypte le 15 Nissan, les enfants d’Israël consommèrent les matsot qu’ils avaient emportées jusqu’au 15 Iyar. Ensuite, ils n’eurent pas de pain pendant trois jours, et c’est alors que le Créateur leur envoya la manne, le 18 Iyar.
13 ans caché dans une grotte
Il était donc normal qu’une commémoration s’établisse au vu de la conjonction de tous ces événements. Toutefois, alors que la halakha nous recommande de jeûner le jour anniversaire de la mort d’un grand Sage de la Torah, comment le jour du décès de celui qui a donné le Zohar au peuple juif a-t-il pu se transformer en jour de fête ? La réponse est que, pour Rabbi Chimon bar Yohaï, ce fut certainement un jour de joie, car en quittant ce monde il allait prendre place dans le monde céleste. Une autre raison est invoquée : la Guemara (Chabbat 33b) raconte les circonstances qui ont conduit Rabbi Chimon à se réfugier 13 ans dans une grotte, près du petit village de Pekiin, en Haute-Galilée. L’empereur Hadrien, qui avait décrété sa mort, avait interdit que soit enterrée toute personne condamnée par décret impérial : lorsqu’il apprit que le monarque romain n’était plus, Rabbi Chimon sen réjouit, car il savait qu’il aurait enfin une sépulture (rapporté dans les ResponsaChem Arié, Ora’h Haïm 14).
Le roi de la mystique juive
La première mention de prières collectives à Meron lors du Lag BaOmer serait le fait de rabbi Ovadia de Bartenoura, monté en Israël en 1485, qui semble l’associer à Pessa͛ h Cheni, 4 jours plus tôt. Mais il est établi avec certitude quà lépoque du Ari zal (Rabbi Itshak Louria, 1534-1572), la célébration de Lag BaOmer consistait à aller à Méron sur la tombe de Rabbi Chimon pour sy adonner à létude et à la prière. Son disciple, Rabbi Haïm Vital (1542-1620) rapporte que le Ari zal se rendit à Méron à LagBaOmer pour procéder à la coupe de cheveux de son fils, la ͚ halaké, à l’âge de trois ans. A cette époque, pour honorer l’âme de l’auteur du Zohar, on allumait des veilleuses d’huile qui répandaient leur lumière plusieurs jours durant. Les mèches utilisées provenaient alors de vêtements usés, que lon brûlait à l’occasion. Pour expliquer la coutume actuelle, qui consiste à procéder à de grands brasiers, il semblerait que la pratique conseillée par les Sages de brûler les affaires personnelles et le lit d’un roi d’Israël après son décès, afin que nul ne puisse en profiter, se soit peu à peu insérée dans les célébrations de Lag BaOmer. L’auteur du Zohar n’est-il pas, quelque part, le roi de la mystique juive ? Bien que cette manière de faire ait été fortement condamnée par Rabbi Yossef Chaoul Nathanson (1810-1987, auteur du Choel ouMéchiv), désormais à défaut de vêtements, ce sont des branchages, du bois sous toutes ses formes que l’on brûle en l’honneur de la Hilloula de Rabbi Chimon.
Illuminer toute la Gola
Au fil des siècles, la célébration de Lag BaOmer s’est répandue jusque dans certaines communautés de l’Europe de l’Est. Comme aucun arc-en-ciel n’avait été observé du vivant de Rabbi Chimon, à Lag BaOmer en Galicie, la coutume était d’encourager les enfants à tirer à l’arc, ce quobservent encore certains Admorim de nos jours. Mais c’est surtout dans le monde séfarade que le souvenir de Rabbi Chimon est fêté avec éclat. Dans nombre de synagogues d’Afrique du Nord, comme à la Ghriba de Djerba, un coin spécial lui est attribué, et sa mémoire est célébrée par nombre de bougies et de parfums. Dans l’île de Rhodes, c’est le jour de Lag BaOmer que l’on met à la guéniza les documents saints quil est interdit de détruire. En tout état de cause, cette année encore en Israël, la nuit de Lag BaOmer sera jalonnée de milliers de feux, allumés par des fidèles de tous âges et de toute obédience. Un événement qui nous renvoie à la manière dont on annonçait l’arrivée de la nouvelle lune : « On allumait des feux depuis le mont des Oliviers…et [de colline en colline, jusqu’en Babylonie] toute la Gola était illuminée comme un brasier. » (Roch HaChana 2, 4). Une lumière dont le monde actuel aurait bien besoin. David Jortner