Mise en garde : si vous faites partie de ces veinardes et autres chanceuses qui possèdent ce luxueux joujou communément appelé « lave-vaisselle » – ou, alternativement, si vous avez réussi l’exploit de mettre le grappin sur une femme de ménage qui ne confond pas ses humbles émoluments avec des honoraires d’avocate – je me dois de vous prévenir d’emblée : l’article qui suit, et les basses considérations dont il traite, se situe bien en-deçà de votre dignité. Mais si, comme l’auteure de ces lignes, vous êtes confrontées jour après jour à la servitude du tandem choc tampon à récurer & Paic Citron, vous avez tout intérêt à poursuivre votre lecture. Qui sait ? Votre évier surchargé vous paraîtra peut-être moins menaçant. Rien qu’un tout petit peu moins.
Marathon maternel
Vous avez bravé les monstrueux embouteillages de fin de semaine jusqu’à Auchan ou Carrefour. Vous avez arpenté les allées bondées de monde en ignorant stoïquement les pleurnichements de votre petit dernier qui ne comprend toujours pas pourquoi vous refusez catégoriquement de lui acheter des Kinder Surprise. Vous avez fait la queue pendant dix minutes en bravant, cette fois, les regards ahuris des autres clients qui, vu le contenu gargantuesque de votre chariot, se demandent si vous ne cachez pas des réfugiés syriens chez vous. Vous avez chargé toutes vos provisions dans la voiture. Vous avez de nouveau subi les embouteillages jusqu’à chez vous. Vous avez déchargé les provisions. Et vous les avez courageusement portées jusque chez vous pour en garnir votre garde-manger. Mais votre besogne n’est pas terminée. À la vérité, elle ne fait que commencer.
Plats vides & ventres pleins
Il va vous falloir maintenant enfiler votre tablier de cuisine et, nonobstant les clins d’œil aguicheurs que vous lance le marchand de sable, vous allez devoir attaquer les préparatifs de Chabbat à proprement parler. Une petite visite éclair sur l’incontournable blog cuisine de Piroulie de mémoire bénie, ou un petit tour obligé par la page « Recettes » du Haguesher, et vous voilà fin prête à attaquer. À éplucher et à écosser. À dépiauter et à dépecer. À trier et à tamiser. À mélanger et à malaxer. À bouillir et à braiser. À rôtir et à rissoler. Bientôt, un bel assortiment de plats en aluminium aux effluves alléchants garnit votre plan de travail, récompensant vos membres éreintés. Mais votre besogne n’est pas terminée. À la vérité, elle ne fait que continuer. Car demain matin, le marathon des préparatifs chabbatiques se poursuivra de plus belle. Et le soir venu, après avoir mis les petits plats dans les grands, vous allez servir. Puis desservir. Puis resservir. Puis re-desservir. Jusqu’à ce que satiété s’ensuive. Et tout cela, cela va sans dire, vous le ferez avec un grand sourire. Car vous êtes une mère juive. Et une mère juive, comme chacun le sait, tient en horreur les estomacs vides. Autant, si ce n’est plus, qu’elle abhorre les plats restés pleins. Pour autant, votre besogne n’est pas terminée. À la vérité, elle est loin d’être terminée.
Vaisselle sale ou sale vaisselle ?
Il vous reste le dernier round – mais non le moindre – de ce combat hebdomadaire : la phase Vaisselle. Avec un grand V. Aussi grand d’ailleurs que la pile d’assiettes huileuses et graisseuses qui s’amoncellent impitoyablement dans votre évier. Et là, comme chaque vendredi soir, vous brandissez votre plus féroce des menaces aux oreilles de Monsieur. Lequel, achevé par vos prouesses culinaires, somnole du sommeil du repus : « C’est-décidé-si-tu-ne-m’achètes-pas-un-lave-vaisselle -je-rends-mon-tablier ! » Puis, soulagée par ce grandiloquent ultimatum (que, soit dit en passant, vous n’aurez jamais le cran de mettre à exécution) vous enfilez votre tablier, retroussez vos manches et vous mettez docilement au boulot. Oyez, oyez, ménagères lessivées! Si ce scénario évoque de douloureux sentiments en vous, la section hebdomadaire de la Torah a quelques mots d’encouragement à vous glisser.
Bon débarrassage !
Dans la paracha d’A’haré Mot, la Torah nous décrit dans le menu détail le service d’Aharon Hacohen pendant Yom Kippour, et de tous les Grands Prêtres qui lui succéderont à cette tâche sacrée. Parmi les nombreuses allées-venues que le pontife effectue à travers les différentes pièces du Tabernacle pour mener à bien les nombreuses missions qui lui incombent en ce jour, l’une d’entre elles attire l’attention de Rachi. Pour la bonne raison que le verset ne précise pas explicitement l’objectif de ce déplacement. Lisez donc : « Aharon rentrera dans la tente d’assignation, il se déshabillera des vêtements de lin dont il s’était vêtu pour entrer dans le sanctuaire, et les y déposera. » (Lévitique, 16, 23). Mais que cherche donc Aharon dans la tente d’assignation ? Le maître de Troyes vient à notre rescousse pour résoudre cette difficulté : cette fois, Aharon pénètre dans la tente d’assignation non pas pour y effectuer un quelconque rituel de Yom Kippour, mais pour en achever un qu’il a entamé au préalable. « Il vient reprendre la coupe et l’encensoir avec lesquels il avait fait fumer l’encens dans le Saint des Saints », nous explique le commentateur médiéval. Mais sa réponse soulève une autre question : pourquoi imposer au Grand Prêtre de vaquer à une tâche aussi prosaïque que celle de récupérer les ustensiles qui avaient été employés pour le brûlement de l’encens ? Pourquoi ne pas confier cette besogne, a priori banale, à un Cohen ordinaire ? Pour le Baal Chem Tov cette injonction donnée au Cohen Gadol est riche en enseignements : le « débarrassage » de la coupe et de l’encensoir fait partie intégrante du commandement – et du privilège– de faire fumer l’encens qui lui est exclusivement réservé. De même, en conclut le père de la hassidout, le fait de desservir une table qui a été dressée en vue d’une bonne action, comme l’hospitalité ou une séoudat mitsva, est tout aussi louable et méritoire que le fait d’avoir dressé la table ou d’avoir servi les convives avec générosité et affabilité (rapporté dans le commentaire Maayana chel Torah).
Madame a (des)servi
Ce message possède des ramifications applicables à tout un chacun, et tout particulièrement à nous autres épouses et mères. Comme toute fée du logis qui se respecte vous le dira, après avoir peiné pour concocter de bons petits plats (cf. paragraphes précédents), rien de plus agréable que de dresser une table avec élégance, puis de servir ses invités avec prestance. C’est l’occasion de laisser libre cours à notre créativité, et avouons-le, de récolter des compliments bien mérités quant à nos talents de cordon bleu. Mais débarrasser les assiettes sales ? Récurer les fonds de casseroles noircies ? Décrasser les soupières visqueuses ? Savonner les saladiers gras ? Plutôt ingrat comme boulot ! C’est là qu’intervient la leçon donnée au Cohen Gadol dans la premièredes deux parachiot que nous lirons cette semaine. Débarrasser la table, faire la vaisselle et remettre la maison en ordre font partie intégrante de la mitsva– et du privilège– de nourrir et de servir les êtres qui nous sont chers. Cette mitsva et ce privilège dont nous avons l’apanage. D’où l’importance de s’y atteler dans la joie et la bonne humeur. Et dire que les malheureuses propriétaires d’un lave-vaisselle se privent d’un tel bonheur…
Dvar-Torah inspiré de l’ouvrage Growth through Torah du Rav Zelig Pliskin
EXERGUE : Débarrasser la table, faire la vaisselle et remettre la maison en ordre font partie intégrante de la mitsva– et du privilège – de nourrir et servir les êtres qui nous sont chers.