Le geste indigné et « humanitaire » de Trump contre les exactions barbares de l’armée d’Assad devra avoir une suite pour constituer une nouvelle donne stratégique. Dix points de repères sur ce qui pourrait s’avérer être un tournant de la cruelle guerre civile syrienne.
Alors qu’il arrive souvent que les impératifs militaires entrent de plein fouet en contradiction avec les besoins de la diplomatie, l’attaque d’une base aérienne syrienne effectuée à l’aube du 7 avril sur les ordres du président Trump, indubitablement indigné au plan moral par le gazage des enfants de Khan Cheikhoun, pourrait constituer une exception à ce principe.
Autre paradoxe : alors qu’à peine quelques jours plus tôt, la diplomatie U.S. déclarait à l’ONU qu’elle ne considérait pas le départ d’Assad comme condition sine qua non d’un règlement de la crise syrienne, les Etats-Unis n’ont pas hésité le 7 avril à faire volte-face pour bien faire comprendre cette fois au dictateur syrien que Washington ne tolérerait plus le franchissement de certaines « lignes rouges ».
Ce renversement de situation a brusquement permis de positionner Trump –applaudi pour cet acte par la plupart des pays du monde libre – comme un leader ferme et moral… Surtout en comparaison de la mollesse et de la passivité dont avait fait preuve son prédécesseur Obama lors de la crise de l’été 2013, quand la Maison Blanche avait renoncé sur le fil à une action militaire occidentale anti-Assad pour lui préférer un arrangement diplomatique impliquant aussi la Russie dans un pseudo « désarmement chimique » de la Syrie…
Cette attaque américaine est paradoxalement tout à fait légale au plan du Droit international, puisque la Syrie a violé de plein fouet ses obligations contenues dans la Résolution 2118 de l’ONU sur le démantèlement de toutes ses armes chimiques.
S’il a aussitôt déclenché contre Washington les foudres de Moscou et de Téhéran – deux alliés inconditionnels du régime Assad –, ce subit coup de dé de Trump –au cœur du très complexe échiquier moyen-oriental qui restaure la puissance des USA après les huit années du retrait progressif opéré par Obama – a reçu le soutien d’Israël, de la Jordanie, de l’Arabie Saoudite et aussi de l’Egypte. Un « coup de maître » qui redessine les contours d’une alliance possible entre l’Etat hébreu et certains pays arabes « modérés » de la région contre les menées extrémistes de l’Iran et de ses alliés.
Alors que depuis son arrivée-surprise à la Maison-Blanche, Trump était sans cesse vilipendé par les démocrates américains et par les dirigeants européens – pour toutes sortes de raisons plus ou moins fondées–, voilà que son intervention « morale » et « humanitaire » contre Assad lui a valu à l’intérieur le soutien inconditionnel de l’opposition démocrate et aussi un heureux rapprochement avec l’Union européenne en vue du règlement de cette interminable crise syrienne.
Bien entendu, le prix à payer pour ces nouveaux gains inattendus ramassés en une nuit par ce président républicain décidément très imprévisible, c’est la sérieuse détérioration des liens entre Washington et Moscou… Et ce, alors que Trump avait fait du rapprochement USA-Russie l’un des axes de sa politique étrangère.
Après avoir martelé durant toute sa campagne présidentielle son fameux slogan « America first »(L’Amérique d’abord !) – ce qui impliquait d’écarter tout interventionnisme militaro-diplomatique à l’étranger pour se concentrer sur la résolution des problèmes intérieurs américains –, voilà que, par la force des choses et le poids des charges inhérentes à sa fonction, l’un des présidents parmi les plus protectionnistes a dû ordonné une opération militaire à 8 000 kms du territoire américain… à peine cent jours après son arrivée à la Maison-Blanche !
Coïncidence assez peu fortuite à l’heure où les USA ont aussi à gérer, presque à l’autre bout du monde, la pernicieuse et dangereuse crise coréenne initiée par le régime-fou de Pyongyang : c’est devant le président chinois Xi Jinping que Trump a annoncé sa décision d’une opération militaire contre Assad – une manière de faire comprendre aux dirigeants chinois que quelque chose d’axial avait bel et bien changé à Washington…
Pour que le geste du président américain, à juste titre indigné par les horreurs d’Assad, ne soit pas seulement un « coup d’éclat moral » sans lendemain et qu’il puisse constituer un véritable tournant militaro-diplomatique à même de contrer enfin l’omnipotence russo-iranienne dans l’interminable crise syrienne, il faudra que Washington ajoute très vite d’autres cordes stratégiques à son arc. Faute de quoi, la crédibilité de Trump et des Etats-Unis s’en ressentirait lourdement…
Richard Darmon