Yonathan Bendennoune
Le livre de Vayikra est également appelé : « La Loi des prêtres » (Torat Kohanim), car son thème principal est celui du service sacerdotal, dans lequel les sacrifices occupent une place centrale. Le premier précepte y figurant est donc : « Si un homme, parmi vous, présente un sacrifice à l’Éternel… » (Vayikra 1, 2).
De manière assez exceptionnelle, la Torah désigne ici l’« individu » par le mot Adam, et non par Ich comme elle le fait généralement. Selon nos Sages (que cite Rachi), cette expression fait allusion à Adam le premier homme, pour nous apprendre un principe : « De même qu’Adam le premier homme n’a pas offert de sacrifices provenant du vol – puisque tout lui appartenait – ainsi vous ne devrez pas faire d’offrande provenant du vol. » Cette référence à Adam est surprenante à plusieurs égards. Tout d’abord, il n’est nullement nécessaire de « remonter » jusqu’aux racines de l’humanité pour déduire cette loi : la Torah indique à de nombreuses reprises qu’une mitsva ne doit pas provenir du fruit d’un larcin, ni être le résultat d’une quelconque faute. En outre, comment avons-nous la certitude qu’Adam n’a pas sacrifié un animal « volé » ? Il y avait pourtant avec lui ‘Hava son épouse ainsi que ses deux fils. Même s’il est fortement improbable qu’il ait choisi pour ses offrandes précisément des bêtes que l’un d’eux s’était appropriées, rien ne nous permet néanmoins d’établir cette « déduction talmudique », qui doit être par définition exempte de toute objection…
La destinée des hommes et des animaux
Cette interrogation nous conduit à poser une question d’ordre plus général : en vertu de quel droit un homme peut-il égorger une bête, que ce soit pour l’offrir en sacrifice ou pour en faire son repas ? Le roi Chlomo clame pourtant avec une lucidité atterrante : « Telle la destinée des fils de l’homme, telle la destinée des animaux : leur condition est la même, la mort des uns est comme la mort des autres, un même souffle les anime. La supériorité de l’homme sur l’animal est nulle, car tout est vanité » (Kohélet 3, 19). La bête étant un être vivant pas moins que l’homme – dont la supériorité demande encore à être établie – le deuxième ne devrait avoir aucun droit sur la première ! Visiblement, la réponse apparaît dans un verset énoncé par David : « Si l’homme, dans sa gloire, ne le comprend pas, il est semblable à l’animal » (Téhilim 49, 21). Autrement dit, l’être humain possède une seule prérogative – une « gloire » – qui le distingue de la bête : sa compréhension. De fait, l’intellect n’est pas une faculté plus développée chez l’homme que chez l’animal : c’est un attribut par lequel il se démarque totalement du reste de la création, une caractéristique capable de modifier radicalement son essence… pour autant qu’il en fasse usage. Dans le cas contraire, comme le précise David lui-même, il demeure « semblable à l’animal ». Compte tenu de la faculté de l’homme à accroître son savoir jusqu’à atteindre l’ultime Connaissance – celle de son Créateur – il est considéré comme le « joyau de la création », l’être potentiellement capable d’atteindre les plus hautes sphères de l’existence. C’est pourquoi D.ieu lui a donné le droit de faire usage de tous les éléments de la nature, afin que ceux-ci contribuent à son élévation. Ce faisant, il permet aux autres créatures du monde de s’élever à leur tour, et de participer au projet divin consistant à conduire le monde entier à la connaissance de Son Nom. C’est la raison pour laquelle l’homme peut consommer des animaux – et plus encore en faire des sacrifices – leur offrant ainsi l’ultime privilège de conduire le monde à sa finalité. Mais ce, encore une fois, pour autant que l’homme remplisse son rôle et qu’il soit à la hauteur de la mission qui lui a été conférée. En revanche, s’il s’attache à la matière, s’il voue son être au culte de son corps plutôt qu’à l’évolution de son esprit, il est assimilé à la bête, dont rien ne le distingue.
Définition du vol
Lorsqu’un individu utilise indûment un élément de la création parce qu’il ne le mérite pas, il le « détourne » de son but et il se l’approprie en quelque sorte injustement. Cette situation est précisément ce que l’on appelle un « vol », qui consiste à prendre une chose sur laquelle on n’a aucun droit. C’est notamment le cas d’une personne qui sacrifie une bête pour recevoir l’agrément divin, alors qu’elle n’est elle-même pas mieux que cet être vivant qu’elle égorge. Ce faisant, elle « vole » une chose sur laquelle elle n’a aucun droit, puisqu’elle n’a pas su s’élever au-delà de la condition d’animal. Adam, créé du souffle de D.ieu, a d’abord évolué dans le Gan Eden, où son existence matérielle était la plus proche de la spiritualité (comme le démontre longuement le Ram’hal dans Daat Tevounot). En outre, « tout lui appartenait » – c’est-à-dire qu’il n’a jamais développé la moindre ambition matérielle, puisque le monde entier était à sa disposition. Comme son nom l’indique, il était l’Homme par excellence, au point que même les anges le considérèrent comme une divinité (Béréchit Rabba 8, 10). Même après la faute, son unique aspiration était de retrouver son niveau d’antan, de vivre à proximité du Créateur comme auparavant. Il est donc évident qu’il utilisait les éléments de la nature uniquement en vue de s’élever spirituellement, et d’élever avec lui toute la création. Voilà pourquoi nos Sages enseignent que, « de même qu’Adam le premier homme n’a pas offert de sacrifices provenant du vol puisque tout lui appartenait » – comme il n’avait aucun attrait pour la matière, il ne pouvait nullement être soupçonné d’utiliser une chose indûment – « ainsi vous ne devrez pas faire d’offrande provenant du vol » – mais seulement si vous méritez votre appellation d’« Homme »…