Le professeur de kodech victime d’un jeune djihadiste début 2016 à Marseille est « satisfait » du verdict prononcé contre le terroriste, âgé de quinze ans au moment des faits. Mais il peine à se reconstruire.
Un procès doublement inédit en France s’est ouvert à Paris le 1er mars, à huis clos, devant le seul tribunal pour enfants du territoire statuant en matière criminelle. Le prévenu était le premier auteur d’une attaque à caractère djihadiste dans l’Hexagone à être jugé et c’était le premier cas de mineur de moins de seize ans comparaissant pour terrorisme.
On se souvient de l’émoi qu’avait suscité à Marseille et dans l’ensemble de la communauté juive, le 11 janvier 2016, la tentative d’assassinat de Benjamin Amsellem. Ce professeur de kodech à l’école juive de La Source, dans le 9e arrondissement de la cité phocéenne, a été agressé par Yusuf, un adolescent d’origine kurde muni d’une machette. L’enseignant portait une kippa. Il a eu la vie sauve grâce à un livre de Torah qu’il tenait à son bras et qui lui a servi de bouclier. Après avoir pris la fuite, il a été rattrapé par l’assaillant qui a tenté une seconde fois de le tuer, avant d’être interpellé. « Son regard, c’était de la haine », a précisé Benjamin Amsellem quelques jours après cette agression qui l’a blessé légèrement mais profondément traumatisé.
Yusuf n’a jamais nié les faits. Il les a même revendiqués devant les enquêteurs, affirmant avoir voulu « attaquer un Juif » en suivant l’exemple de ses « frères » palestiniens. Il s’est déclaré « honteux » de n’avoir eu ni la force ni le temps de l’achever. Agissant au nom de Daesh, il a reconnu un projet de départ en Syrie pour y mener le djihad. Il a aussi indiqué s’être radicalisé seul sur Internet. L’attentat était prémédité : dix jours auparavant, Yusuf avait acheté la machette et un couteau pour « planter » les policiers quand ils l’arrêteraient. Il aurait voulu mourir en martyr lors de l’interpellation.
Aujourd’hui, il prétend avoir évolué et pris conscience de l’absurdité barbare de son geste. Il assure « faire la différence, désormais, entre propagande et réalité ». Cela ne convainc pas tout à fait Fabrice Labi, avocat de Benjamin Amsellem: « On peut s’interroger sur la sincérité du repentir. L’expert psychiatre n’a rencontré le prévenu que deux fois, a-t-il plaidé. Nous voulons une peine à la hauteur du préjudice. La victime en subit toujours les affres. Il n’y a pas un instant où elle se sent en sécurité. Mon client a vu la mort de près et fait très souvent des cauchemars ». Cela dit, l’enseignant a pris acte des regrets du jeune assaillant, « arrivés tard, mais arrivés tout de même », a-t-il relevé.
Après deux jours d’audience, Yusuf – qui avait quinze ans au moment des faits et bénéficiait d’un statut de mineur –a été condamné à sept années de prison et cinq années supplémentaires de suivi socio-judiciaire pour tentative d’assassinat « en relation avec une entreprise terroriste », aggravée par la motivation antisémite. Le professeur juif, lui, a quitté Marseille pour se « reconstruire » et repris son activité en région parisienne. Il évite d’arborer la kippa dans l’espace public, préférant la casquette. On sait d’ailleurs que l’attaque du 11 janvier 2016, qui succédait à plusieurs agressions antisémites à travers la France, avait provoqué un vif débat sur le thème : faut-il porter la kippa dans la rue, quitte à prendre des risques pour sa sécurité ? Et dans quels cas peut-on invoquer le pikoua’h nefech pour s’en dispenser ? Souffrant de stress post-traumatique, Benjamin Amsellem est de nouveau, ces jours-ci, en congé-maladie. Il était néanmoins présent au procès, car il voulait « comprendre », a-t-il expliqué. Il s’est déclaré « satisfait » du verdict, soulignant qu’il était dénué de tout sentiment vindicatif.
Axel Gantz