Ce qu’il y a de bien quand votre chérubin étudie les parachiotes relatives à l’édification du Michkane c’est que vous êtes tenue de mettre un peu d’ordre dans des passages qui, enfant, ont pu vous paraître obscurs. Et le plus beau, c’est qu’avec le recul, vous découvrez que ce que vous croyiez jadis être un simple traité d’architecture s’avère être un sublime manuel de décoration d’Intérieur. Dans le sens le plus noble du terme.
Dans les parachiot de Térouma et Tetsavé, la Torah nous décrit le mobilier liturgique du Michkane, lesanctuaire portatif qui allait accompagner les Hébreux dans leurs pérégrinations. Après le arone– l’Arche sainte ; le choul’hane– la Table ; la ménora– le Candélabre, viennent deux objets qui constituent le centre névralgique du service sacré : le mizbéa’h ha’ola et le mizbéa’h hakétoret. Mais si tous deux portent le nom d’autel, force nous est de constater que la comparaison s’arrête là.
Deux autels…
La première différence tient, bien évidement, à l’usage auquel ils se destinent. Comme l’indiquent leurs noms, le premier accueillera les différents sacrifices qui seront offerts au Michkane, tandis que le second servira au brûlement de la kétoret, cet encens si particulier dont la seule fragrance suffisait à éveiller un désir de repentir chez l’homme. La deuxième différence, qui découle partiellement de la première, tient à leur « descriptif technique ». Parce qu’il doit supporter abats, carcasses et autres « morceaux du boucher », le mizbéa’h ha’olaprésente d’imposantes dimensions tandis que le mizbéa’h hakétoret qui n’accueille que les parfums sacrés est de taille plus modeste. Les matériaux qui les composent sont aussi différents : si le premier est rempli de terre et recouvert de cuivre, le second est plaqué d’or et surmonté d’une couronne du même matériau. Une distinction que l’on retrouve dans un autre nom qu’on leur attribue ; le mizbéa’h hané’hochet– l’autel de cuivre et le mizbéa’h hazahav –l’autel d’or. Enfin, la troisième différence relève de l’emplacement qui leur est réservé ; si le premier est placé dans le parvis du Tabernacle, le second a le privilège d’être situé à l’intérieur même de ce lieu saint. D’où le troisième titre qui leur échoit ; le mizbéa’h ha’hitson– l’autel externe et le mizbéa’h hapenimi– l’autel interne.
… et deux modes de vie
Mais comme nous n’allons pas tarder à nous en apercevoir, ces différences sont loin de se cantonner au seul domaine technique. Dans son commentaire sur la Torah, le rav Chimchone Pinkus zatsal nous invite à déceler les puissants messages spirituels symbolisés par les composants du Michkane. À propos des deux autels que nous venons de décrire, il cite une opinion suggérant que ces derniers incarnent deux types de personnes que tout oppose. Car si toutes deux s’efforcent de respecter scrupuleusement le judaïsme, l’état d’esprit qui les caractérise, lui, est radicalement différent…
Vivre en « Mode Autel de Sacrifice »
La première personne sert Hachem en « Mode Autel de Sacrifice ». Et pour cause, chaque commandement qu’elle accomplit lui demande un effort incommensurable. Et lorsqu’elle se résout finalement à en venir à bout, elle vous dira en soupirant qu’il faut bien « se sacrifier » pour la bonne cause. C’est le genre de personnes qui « se saigne » pour faire ses emplettes dans une épicerie cachère tout en rouspétant que sa note aurait diminué de moitié si seulement elle avait pu se rendre dans la grande surface du coin. C’est le genre de personnes qui « se fait violence » pour suivre les lois de la pudeur tout en maugréant que sa garde-robe aurait pu être plus en vogue si elle avait pu suivre la tendance. Attention, ne la méprenez pas… Elle est irréprochable. Mais sa vie n’en demeure pas moins une triste succession de désirs réprimés et d’envies refoulées. Un tragique enchaînement de devoirs, de privations et de renoncements. Elle n’a guère besoin d’attendre la reconstruction du Temple pour apporter des korbanot. Car sa vie quotidienne se résume en un interminable sacrifice…
Terne comme la terre
Au fait, savez-vous pourquoi elle souffre tant ? Eh bien parce que ce fameux « Mode Autel de Sacrifice » qu’elle a fait sien a un pseudonyme révélateur : c’est le « Mode Autel Externe ». En d’autres termes, cette personne a réduit les commandements divins à de banals rituels superficiels. Et elle a choisi d’occulter la beauté et la pertinence infinies que chacun d’eux abrite. À l’instar de la terre qui comble le vide de l’autel de sacrifice, ses bonnes actions ont le goût de la poussière, le goût du néant. Alors, rien étonnant à ce qu’elle ne trouve pas le moindre plaisir à les accomplir.
Retrouver l’« or » caché dans « Torah »
À l’inverse, notre seconde personne sert Hachem en « Mode Autel des Encens ». À l’image de la fragrance suave dégagée par ces parfums, elle est habitée par l’intime conviction que le mode de vie préconisé par la Torah est garante de son bonheur, de son bien-être et de son épanouissement personnel. À ses yeux, le Chabbath n’est pas une journée jalonnée d’interdictions dont celle, ô combien dramatique, de ne pas pouvoir mettre à jour son statut FB ; c’est un moment privilégié où elle aura enfin l’occasion de se consacrer exclusivement à ce qu’elle aime et à ceux qu’elle aime. À ses yeux, les lois de l’harmonie conjugale n’ont pas pour objectif de l’éloigner de l’être qui lui est cher ; bien au contraire, ce sont elles qui lui permettront d’enrichir et d’embellir sa vie de couple. Et si elle en est profondément convaincue c’est parce qu’elle a eu la sagesse de percer la profondeur de chaque commandement divin. Et de découvrir que l’éclat qu’il projette n’a rien à envier à celle de l’or précieux. Alors son existence épouse le modèle de l’autel interne. C’est là une vie empreinte de sens. Une vie empreinte de richesse intérieure. Une vie auréolée d’un superbe halo doré qui n’est pas sans rappeler la couronne de l’autel… (Tiféret Chimchone, Chémot, p. 340)
Pourim ou comment remplacer le devoir par l’envie
Parce que le hasard n’existe pas, le message des deux autels se fait écho de celui véhiculé par l’un des versets les plus populaires de la Méguilat Esther : « Pour les Juifs, il y avait lumière et joie et allégresse et gloire » (8, 16). Un verset que le Talmud commente comme suit : « La lumière se rapporte à la Torah ; la joie aux fêtes ; l’allégresse à la circoncision, et la gloire aux téfilines » (Traité Méguila 16b). Et le Sefat Emét de s’étonner : si telle est la signification de ces mots pourquoi la Méguila n’énonce-t-elle pas, plus simplement : « Pour les Juifs, il y avait la Torah, les fêtes, la circoncision et les téfilines » ? C’est que, nous explique-t-il, la Méguila ne désire pas nous indiquer que les Juifs respectèrent la Torah, les fêtes et tout le reste des commandements tels la Mila et les téfilines. Elle veut plutôt souligner le fait qu’en cette heure de délivrance, les juifs ressentirent au plus profond de leur être que la Torah était la véritable source de lumière, que les fêtes juives étaient synonymes de joie, que la circoncision était vectrice d’allégresse et que les téfilines représentaient la véritable gloire ! Et c’est ainsi que nous comprenons l’affirmation de Rava (Chabbath 88/a) voulant qu’à Pourim, les Juifs acceptèrent de nouveau la Torah. Cette fois non plus par devoir, mais par envie.
Et vous, quel autel êtes-vous ?
Ora Marhely