Le Midrach illustre le projet de Haman de détruire le peuple juif avec la parabole suivante : « Un oiseau construit son nid au bord de la mer, mais une vague survient et l’emporte. L’oiseau dit alors : Je ne bougerai pas d’ici tant que je n’aurai pas asséché la mer ! Il remplit aussitôt son bec de terre et la verse dans la mer. Son ami lui dit alors : Stupide et mauvais perdant que tu es ! Penses-tu être capable d’assécher la mer ? Ainsi le Saint béni soit-Il dit à Haman : Stupide que tu es ! Moi-même, quand J’ai projeté de détruire ce peuple, Moché M’a imploré et ne M’en a pas laissé la possibilité, comme il est dit : Il parla de les exterminer; mais Moché, Son élu, se tint à la brèche devant Lui, pour détourner Sa fureur et l’empêcher de les détruire (Téhilim 160, 23). Comment crois-tu pouvoir y parvenir ? Je te jure qu’ils seront sauvés, et que c’est ta tête qui montera sur la potence ! » (Midrach Esther Rabba 7, 10).
L’histoire des exils
De prime abord, ce Midrach semble étonnant, puisqu’une parabole doit être à l’image précise de ce qu’elle vient évoquer. A quoi correspondent donc la mer, le nid et la vague qui l’emporte ? En fait, l’explication est la suivante. Cinquante-deux années après la destruction du Bet Hamikdach, les Perses s’accaparent de l’empire Babylonien, et son monarque, Cyrus I, permet aux juifs de retourner à Jérusalem et de reconstruire le Temple : « La première année de Cyrus, roi de Perse, afin que s’accomplît la parole de D.ieu prononcée par la bouche de Jérémie, D.ieu réveilla l’esprit de Cyrus, roi de Perse, qui fit faire de vive voix et par écrit cette publication dans tout son royaume : Ainsi parle Cyrus, roi des Perses : le D.ieu des cieux m’a donné tous les royaumes de la terre, et m’a ordonné de Lui bâtir une Maison à Jérusalem, en Juda. Qui d’entre vous est de Son peuple ? Que son D.ieu soit avec lui, et qu’il monte à Jérusalem en Juda et bâtisse la maison du D.ieu d’Israël, à Jérusalem ! » (Ezra 1, 1-3).
Aussitôt, 42,360 juifs quittent la Babylonie et montent à Jérusalem (Ezra 2, 64), où ils construisent l’autel et y offrent des sacrifices (Ezra 3, 3-13). Mais les samaritains qui s’y trouvaient s’opposèrent et les diffamèrent auprès le roi : « Que le roi sache que les Juifs, partis de chez toi et arrivés parmi nous à Jérusalem, rebâtissent une ville rebelle et méchante, en relèvent les murs et en restaurent les fondements. Que le roi sache donc que, si cette ville est rebâtie et si ses murs sont relevés, ils ne paieront ni tribut, ni impôt, ni droit de passage… Tu verras dans le livre des mémoires que cette ville est une ville rebelle, funeste aux rois et aux provinces, et qu’on s’y est livré à la révolte dès les temps anciens. C’est pourquoi cette ville a été détruite… » (Ezra 4, 7-15). Ces lettres dissuadèrent finalement le roi : « En conséquence, ordonnez de faire cesser les travaux de ces gens [les Juifs] afin que cette ville ne se rebâtisse pas avant une autorisation de ma part » (4, 21).
Après la mort de Cyrus I, A’hachvéroch (Assuérus) prend le pouvoir et le scénario se répète; les ennemis les calomnient une fois de plus : « Sous le règne d’A’hachvéroch, au commencement de son règne, ils écrivirent une accusation contre les habitants de Juda et de Jérusalem » (Ezra 4, 6). Ces ennemis n’étaient autres que les dix enfants de Haman, qui furent pendus (Sédér Olam cité par Rachi Esther 9, 10). En effet, leur père les avait postés à Jérusalem, pour qu’ils veillent à avertir l’empereur au cas où les juifs voudraient rebâtir le Temple (voir aussi Rachi dans Méguila16/a).
L’oiseau, le nid et la mer
Revenons à présent à notre parabole. La mer a cette propriété particulière d’avancer pendant la marée haute et de reculer pendant la marée basse. Hachem a béni Avraham en ces termes : « Ta descendance sera comme le sable au bord de la mer » (Beréchit 22, 17). Ce verset peut aussi se lire ainsi : « Ta descendance sera commela mer sur le sable. » Tout comme la mer, les juifs partent en exil puis ils reviennent sur leur terre. La parabole devient dès lors limpide : l’oiseau représente Haman. En constatant que la mer a reculé pendant la marée basse – les juifs ont quitté Jérusalem et sont partis en exil –il y construit « son nid » –il y place ses enfants, croyant ainsi empêcher leur retour. A sa grande surprise, Cyrus les autorise à retourner sur leur terre : 42,360 juifs s’y installent, et voilà le nid de Haman emporté par la mer ! Ce dernier fait alors le serment « d’assécher la mer », en versant de la terre avec « son bec ». D.ieu se moque alors de sa stupidité, puisqu’il croit pouvoir faire ce que Lui-même n’avait pas réussi.
La comparaison entre le peuple juif et les hautes et basses va plus loin que cela. Ces dernières sont dues à la position de la lune pendant sa rotation autour de la terre, qui disparaît et réapparaît chaque mois. A cet égard, nos Sages comparent le peuple juif à la lune, puisque les deux « disparaissent » pendant un certain temps – laissant croire qu’ils n’existent plus – puis ils « renaissent ». Aussi disons-nous dans la bénédiction sur le renouvèlement de la lune : « La lune est un signe de gloire pour ceux qui souffrent depuis le ventre [de leur mère– c’est-à-dire les juifs],car eux aussi se renouvelleront comme elle, et ils glorifieront l’honneur de Son Royaume… »
L’histoire se répète
Encore à notre époque, certains ont voulu croire que l’exil des juifs serait éternel, ignorant les promesses prophétiques de leur retour sur leur terre. Lorsque les juifs, au début du 20e siècle, ont commencé à y revenir, certains opposants mobilisèrent le monde pour les en empêcher, alors même qu’ils voyaient un nouveau Haman se pointer à l’horizon. De 1939 jusqu’à 1945, presque aucun pays n’a ouvert ses portes pour laisser une chance de survie à ce peuple. Mais à l’image de la lune, le peuple juif a connu une renaissance inespérée. Jusqu’à ce jour, beaucoup sont hantés par l’idée de voir un nouveau Temple se dresser à Jérusalem, craignant dans leur subconscient que le Machia’h se révèle et fasse appliquer la Justice.