Le nouveau président de l’institution cultuelle dans la cité phocéenne, qui a succédé le 29 janvier à Zvi Ammar, prépare des changements importants, par exemple l’ouverture de l’agrément du beth din aux labels casher indépendants. Entretien.
-Haguesher : Vous êtes pharmacien, vous avez cinq enfants et votre famille vient d’Algérie. Etes-vous né à Marseille ?
Michel Cohen-Tenoudji : Presque ! Je suis arrivé dans la ville avec mes parents en 1961, à l’âge de trois ans.
Haguesher : Etes-vous militant communautaire depuis longtemps?
Michel Cohen-Tenoudji : Depuis mon adolescence. J’ai beaucoup travaillé au kibboutz pendant les vacances, quand j’étais jeune. Je me suis aussi engagé dans le cadre du Centre Fleg de Marseille. Après une parenthèse professionnelle pour développer mon activité dans le secteur de la santé, j’ai été élu administrateur du Consistoire sur la liste de mon prédécesseur Zvi Ammar, qui m’a soutenu lors du dernier scrutin. Et je suis bien sûr très attaché à ma communauté locale, celle de la synagogue Pekoudat Elazar du boulevard Michelet, animée par le rav Menahem Berros.
Haguesher : La présence sur votre liste du président de cette synagogue, Yvon Ammar, est-elle le signe d’une continuité entre les deux mandatures, puisqu’Yvon est le frère de Zvi ?
Michel Cohen-Tenoudji : Non. Zvi a joué un rôle de premier plan et positif en faveur du judaïsme régional mais j’ai des projets différents et novateurs. Yvon n’était pas administrateur jusqu’à présent. Si je lui ai proposé de nous rejoindre, ce n’est pas du tout parce qu’il est le « frère de ». C’est parce qu’en matière de ‘hessed, sa personnalité et son action sont incontournables ! Si le groupe scolaire du 9earrondissement Bnei Elazar existe, c’est grâce à lui. Il l’a créé. Si des enfants issus du public y sont accueillis avec parfois des facilités de paiement exceptionnelles, c’est parce qu’il se bat et parce que sa générosité est sans limite. Il est désormais en charge de la bienfaisance au Consistoire et nous avons des idées de développement sur ce plan… crucial dans cette région où de nombreux Juifs vivent dans la précarité.
Haguesher : Quels sont vos autres projets ?
Michel Cohen-Tenoudji : Notre administration cultuelle est mal perçue et jugée désuète, éloignée du terrain. Il faut moderniser les choses. Je souhaite que le corps rabbinique, en particulier, soit davantage présent et plus à l’écoute du public. Par exemple, en cas de décès, un rav doit être immédiatement sur place, il doit accompagner le corps, participer à la récitation des tehilim, renseigner précisément la famille sur les règles de l’inhumation. Les Juifs marseillais doivent se sentir soutenus par le Consistoire.
Haguesher : C’est d’autant plus difficile que deux synagogues seulement sont consistoriales sur un total de cinquante-six répertoriées dans la ville…
Michel Cohen-Tenoudji : C’est exact, il y a ici un grand émiettement en matière cultuelle et aucune communauté indépendante ne souhaite adhérer pleinement à notre institution à l’heure actuelle. Mais nous voulons fédérer autant que possible, puisque l’unité fait la force, comme chacun sait. Notre liste électorale était d’ailleurs intitulée Am Ehad, « Un seul peuple » en hébreu. Cela dit, des services indispensables sont déjà placés sous notre contrôle et sous l’autorité du rav Réouven Ohana, grand rabbin de Marseille. Par exemple, avant le mariage, la kala reçoit des cours de pureté familiale dispensés par nous. La ‘hevra kadicha, elle, est entièrement sous notre responsabilité, de même que le circuit de la casherout, avec le beth din local – sous la houlette de notre dayan, le rav Chmouel Melloul.
Haguesher : Vous avez aussi annoncé un changement dans ce domaine.
Michel Cohen-Tenoudji : Absolument. Des discussions sont en cours pour améliorer le marché alimentaire. Le tarif de la viande, notamment, est trop élevé en raison de l’exclusivité réservée à un abattoir unique agréé par notre tribunal rabbinique. Si l’un des soixante-cinq mille Juifs de l’agglomération veut acheter du bœuf, il peut s’approvisionner en produits surveillés par le rav Its’hak Katz chlita, de Paris, mais c’est une exception et ce bœuf n’est proposé que dans quelques boutiques de la ville. J’aimerais élargir notre agrément, sur le même modèle, à d’autres labels orthodoxes, afin d’ouvrir notre casherout, la diversifier et faire baisser les prix. Si nos discussions aboutissent, le tampon de notre beth din autorisera une consommation casher plus variée et moins onéreuse.
Haguesher : Comment évaluez-vous la situation sécuritaire de votre communauté ? Les actes antisémites ont-ils baissé ici comme ailleurs au cours des derniers mois ?
Michel Cohen-Tenoudji : Oui, mais cette accalmie ne me rassure pas vraiment, à moyen terme. Nous craignons l’arrivée de djihadistes français revenus de Syrie alors que la guerre contre Daesh semble bientôt terminée. Personnellement, je pense que si l’alya s’est stabilisée à Marseille comme dans la capitale, elle va reprendre de plus belle – tôt ou tard. C’est un processus inexorable.
Propos recueillis par Axel Gantz