Ce nouveau tournant déstabilisateur décidé par l’administration Trump, qui a entrepris le retrait de ses troupes du nord de la Syrie en laissant les Turcs « nettoyer » cette région, a causé déconvenue et inquiétude en Israël, et ce pour plusieurs raisons.
1/ Une carte blanche à la Turquie d’Erdogan
En ordonnant le 7 octobre dernier le repli du contingent de l’US. Army déployé dans la région autonome du Kurdistan syrien, Washington a non seulement donné son feu vert à cette invasion militaire presque totale du nord de la Syrie – la 3e mais la plus importante et meurtrière depuis 2016 –, mais a fait aussi accéder Ankara à un dangereux rôle d’arbitre et d’acteur de premier plan dans l’éventuelle résolution de la sanglante guerre civile qui secoue ce pays depuis mars 2011. Ce qui est forcément mal vu à Jérusalem compte tenu de l’animosité viscérale et débridée dont n’a cessé de faire preuve le président turc pro-islamiste, Receip Tayyep Erdogan, vis-à-vis de l’Etat juif. Pire encore : malgré le précaire cessez-lefeu décidé une semaine après le début de cette invasion par Washington et Ankara, le fait est que les troupes turques vont demeurer un certain temps au nord du territoire syrien, ce qui représente en soi une intrusion et une menace stratégiques pour Israël, compte tenu notamment des distances pas si immenses existant d’avec la frontière-sud de ce pays… Comme s’il manquait en Syrie l’entrée en jeu d’une autre puissance régionale après l’Iran et la Russie !
2/ La résurgence de l’Etat islamique au nord d’Israël
Malgré les énormes sacrifices consentis par les Kurdes qui, avec l’aide du soutien logistique américain, ont combattu depuis six ans en 1ère ligne les fanatiques de l’Etat islamique (Daësh) en y perdant quelque 11 000 combattants et en contribuant grandement à la victoire de la coalition anti-djihadiste dans le nordest syrien et qui ont pu créer, ce faisant, une zone autonome kurde pré-étatique regroupant 1,5 million d’habitants avec une économie florissante malgré l’état permanent de guerre, les Américains ont autorisé Erdogan à ruiner tout projet de Kurdistan syrien, le nouveau sultan turc ayant comme objectif d’installer à leur place dans cette région entre deux et trois millions de réfugiés syriens d’ethnies différentes qui avaient envahi depuis 2011 les zones frontalières du sud de la Turquie… Outre le terrible drame humanitaire dont l’importance risque fort de s’amplifier – avec déjà plus de 2 500 Kurdes tués, des milliers de blessés et plus de 300 000 réfugiés civils fuyant vers le sud -, la Turquie a directement fait ainsi ressurgir la lourde menace d’une relance de l’Etat islamique en Syrie en recourant à ces milices djihadistes qu’elle a endoctrinées pour leur faire chasser – et parfois massacrer de manière barbare, décapitations comprises ! – les prétendus « infidèles kurdes » des villes et villages de leur région autonome. De surcroît, l’armée turque a aussi bombardé des prisons kurdes où étaient internés des milliers de détenus membres de Daësh, dont des centaines ont pu s’échapper à la faveur de ces bombardements. Comme si cette campagne militaire d’invasion du nord de la Syrie allait pouvoir résoudre une fois pour toutes le long conflit géopolitique, ethnique et démographique avec les Kurdes datant du début du 19e siècle !
3/ Le renforcement du rôle déjà proéminent de la Russie et de l’Iran en Syrie
Consécutif à un premier retrait militaire effectué voilà un an quand l’US. Army avait évacué des positions et des avantpostes contrôlant l’autoroute terroriste Téhéran-Bagdad-Damas-Bey routh, ce nouveau repli américain est très préoccupant pour les pays alliés des Etats-Unis dans la région comme l’Arabie Saoudite, les pays du Golfe et Israël. Car cette retraite américaine illustre l’attitude de plus en plus passive et noninterventionniste de Washington qui n’a pas répliqué ces derniers mois à deux agressions outrancières des Iraniens : la destruction en juin dernier d’un drone d’observation non-armé de l’US. Army survolant le Détroit d’Ormuz et l’attaque massive du 14 septembre dernier contre deux grands centres pétroliers saoudiens avec des missiles et des drones iraniens tirés depuis l’Irak sur ordre de Téhéran. Intervenant dans la plus grande confusion, ce dernier retrait des troupes américaines de Syrie –sauf de certains postes militaires dans des enclaves du triangle frontalier Irak-Jordanie-Syrie (suite aux requêtes expresses de Jérusalem et d’Amman) – consacre, selon beaucoup d’experts de la région, l’influence grandissante de la Russie et de l’Iran dans toute cette partie du Moyen-Orient. Ainsi, le fort contingent russe de 70 000 hommes déployés en Syrie depuis l’automne 2015 équipés d’armes sophistiquées et protégés par deux grandes bases maritimes du littoral syrien ainsi que par des batteries anti-aériennes et anti-missiles très avancées est-il devenu l’acteur militaire et stratégique proéminent dans la région. Or ce nouveau repli américain permet à la Russie de marquer un nouveau point – avec la totale complicité des USA – en devenant la seule puissance mondiale jouant le rôle d’arbitre politico-militaire sur le territoire syrien : des unités de blindés russes ont ainsi pris position ces derniers jours au nord de la Syrie pour s’interposer entre l’armée turque et les Kurdes ! Quant à l’Iran, il est bien l’autre gagnant de ce retrait américain : ainsi, dès le 2e jour de l’invasion militaire turque, l’armée iranienne (déjà en Syrie avec des milliers de miliciens chiites irakiens et de Gardes de la Révolution islamique déployés aux côtés du régime Assad et du Hezbollah chiite libanais) a-t-elle entrepris le 10 octobre des manœuvres militaires interarmes le long de la frontière perse longeant le territoire turc afin – selon un communiqué de Téhéran – « de se préparer à toute éventualité en cette période de montée des tensions régionales ». Une attitude confirmant les intentions hégémoniques de l’Iran, ce qui ne peut qu’inquiéter davantage Israël…
4/ Une grave déstabilisation des alliés des USA
Après l’abandon courant 2013 du nouveau régime du président Sissi en Egypte par l’administration Obama – ce qui poussa alors le Caire à se tourner un temps vers Moscou pour obtenir des armements -, ce brusque et immoral lâchage des Kurdes par Washington risque fort de déstabiliser la cohérence et la stabilité de l’alliance traditionnelle des Etats-Unis avec plusieurs pays-clés de la région tels l’Arabie Saoudite, certaines monarchies du Golfe et bien sûr Israël et l’Egypte ! Car dans ce Moyen-Orient en proie à des bouleversements radicaux, ces retraits successifs américains, qui donnent peu à peu la prééminence à la Russie, à l’Iran et même à la Chine, revêtent une importance toute particulière : la géopolitique ayant « horreur du vide », ce progressif effacement de l’Amérique ébranle les vieilles alliances stratégiques et sécuritaires de cette région en laissant carte blanche à de nouveaux et avides intervenants. On comprend donc que ce désengagement américain de Syrie qui a laissé les Kurdes livrés à eux-mêmes face à la vindicte turque et islamique a été très mal perçu en Israël. C’est qu’en tant qu’allié privilégié des USA, Israël vient de constater qu’un autre allié de Washington vient d’être abandonné à son sort tragique… Outre le fait que cette attitude américaine conforte la position traditionnelle de l’Etat juif de ne jamais s’appuyer sur des garanties internationales et de quelconques promesses d’aide étrangère pour assurer sa propre défense, la question reste cependant posée pour l’Etat hébreu de savoir s’il peut vraiment faire confiance à terme aux Etats-Unis pour l’aider à préserver ses intérêts sécuritaires primordiaux…
RICHARD DARMON