A la suite de l’article-éditorial de la semaine dernière, qui établit très
clairement l’opposition apparente entre foi et raison, il a semblé nécessaire
de démontrer que cette divergence s’inscrit en fait dans une convergence fondamentale et essentielle. L’impossibilité de la relation entre l’Infini et le fini – soulignée justement par le Rav Pinkous et exposée clairement dans l’article cité – n’est en réalité pas significative au niveau de la créature. En effet, c’est le dialogue entre le Créateur et l’être créé qui est à l’origine de la Révélation, et c’est ici que se situe l’obligation de l’observance. En effet, c’est précisément cette pratique quotidienne qui lie l’Infini et le « limité ».
L’erreur d’Einstein se situe à ce niveau, c’est de ne pas accepter que le Tout-Puissant puisse être atteint par ce qu’Il a créé. Tel est le postulat réel de la Création : un D.ieu personnel se révèle, s’exprime, réjouit le monde qu’Il a créé. Le dieu de Spinoza – auquel Einstein se réfère pour affirmer sa croyance – n’est pas une puissance céleste qui « a choisi » un peuple, mais un principe abstrait qui n’agit pas dans l’Histoire. Il n’y a donc pas d’opposition entre FOI et RAISON, mais la raison nous convainc – et la FOI nous permet de ressentir – qu’il y a un Créateur, qui est à l’origine de TOUT le créé. Il est possible – non légitime – de « fermer les yeux » et de
s’interroger sur le SENS de la création, et, si la réponse à cette interrogation est négative, alors on aboutit à l’Absurde, qui est le contraire du rationnel. C’est, par exemple, la conclusion du Mythe de Sisyphe d’Albert Camus : puisque l’on ne trouve d’explication ni de sens à l’existence de l’univers, on débouche sur l’absurde, qui est la définition de la contradiction entre l’interrogation existentielle et l’absence de réponse. La FOI, elle, donne un sens à l’existence. C’est pour cette raison que la Torah s’appelle תורת חיים , Torah de vie, car grâce à elle le monde a un sens, et mérite de vivre.
La particularité de cette convergence entre les deux directions évoquées plus haut se traduit, de façon symbolique, au niveau de l’histoire d’Israël. On sait que les Septante – 70 Sages d’Israël – ont dû traduire en grec le Tanakh, sous l’autorité de Ptolémée, le roi d’Egypte à l’époque hellénistique.
La traduction a été achevée le 8 Téveth et, nous dit le Talmud, ce jour-là
fut pour l’humanité un jour d’obscurité. Pourquoi cela est-il arrivé ? Il s’agissait pour le roi de profaner la sainteté du texte hébraïque, et de lire rationnellement le Tanakh comme un récit historique, fondé sur
une mythologie semblable aux légendes grecques. C’est contre cette approche rationnelle que se sont insurgés les Hazal, et la Providence a permis que les 70 Sages traduisent tous le texte de façon identique. Ici se situe la rencontre entre la raison – une lecture logique, historique – et la foi,
qui reliait les 70 Sages à leur confiance en D.ieu, et que les événements ont confirmée. Existe-t-il une autre preuve rationnelle dans l’Histoire d’un peuple attaché à un Livre et qui se définit par sa foi en un Livre ? L’Histoire, la raison prouve, la foi, l’expérience existentielle, confirme cette Vérité. Ici se rencontrent les deux sources : le développement rationnel, et l’engagement de la foi convergent dans la nécessité de l’observance. Selon l’expression magnifique de Levinas : « L’impératif de la création se prolonge en impératif du commandement… D.ieu n’a donc pas créé sans s’occuper du sens de la création… Le sens de la création, c’est la réalisation de la Torah » (Quatre lectures talmudiques, p. 90). Peuton trouver une définition plus signifiante de la relation incontournable entre l’analyse rationnelle et l’expérience humaine de la Foi ?