La décision, prise mardi soir 13 novembre, par le cabinet restreint de Sécurité d’accepter le cessez-le-feu proposé par les Egyptiens et déjà validé alors par le Hamas a réellement décontenancé une partie importante de l’opinion publique israélienne qui espérait qu’enfin le gouvernement allait rendre au mouvement terroriste la monnaie de sa pièce après 8 mois de tension. Et elle a donné pour la première fois le sentiment que le Premier ministre israélien avait adopté une attitude « pacifiste ». Tentative
d’explications de ce comportement inattendu.
Après plus de 450 tirs de roquettes et de missiles, dont le fameux missile Cornet sur un autobus qui venait de déposer une cinquantaine de soldats sur un point de rassemblement près de la frontière, les Israéliens étaient persuadés que l’armée allait recommander de frapper un grand coup contre le Hamas, et ses alliés, dans Gaza. On pensait que les ministres du gouvernement le plus nationaliste de l’histoire d’Israël allaient enfin voter, après 8 mois de temporisation et deux jours de bombardements, en faveur d’une opération massive contre les responsables des mouvements terroristes qui narguent depuis si
longtemps l’Etat hébreu. Et l’on pensait enfin que Binyamin Nétanyaou alias Mr Sécurité allait enfin donner carte blanche à Tsahal pour restaurer une force de dissuasion qui ne cessait de s’effriter. D’autant plus que la réunion ne cessait de se prolonger. Mais après 7 heures de discussions avec le chef d’état-major Gady Azencot et le chef du Shin Bet Nadav Argaman, l’entourage du Premier ministre a publié un communiqué laconique selon lequel le Cabinet avait mandaté Tsahal pour « poursuivre ses opérations comme il l’estimait ». Très vite, il s’est avéré que derrière cette formule floue mais apparemment ferme se cachait un feu vert israélien en vue de l’instauration du cessez-le-feu ! Les premiers à avoir compris la véritable nature de la décision israélienne ont été les habitants du pourtour de la Bande de Gaza, probablement parce qu’ils connaissent par coeur le refrain du cessez-le-feu et n’ont
pas oublié les multiples accords de fin des hostilités qui ne se sont jamais concrétisés durant les 50 journées de l’opération Bordure Protectrice, pendant l’été 2014. Une heure après l’annonce gouvernementale, des centaines d’habitants de Sdérot sont descendus dans les rues de leur localité meurtrie pour protester contre ce qu’ils ont appelé la reddition du gouvernement Nétanyaou face au Hamas : « Nous aurions préféré avoir comme Premier ministre Ismaïl Aniyeh, ont scandé certains d’entre eux, parmi lesquels des électeurs traditionnels du Likoud. Puis le lendemain, c’est Avigdor Lieberman qui a accusé le gouvernement dans lequel il a pourtant siégé durant près de 3 ans au poste déterminant de ministre de la Défense, d’avoir cédé face au terrorisme. Lieberman n’a pas du tout apprécié que Mr Nétanyaou prétende que ce cessezle- feu avait été obtenu à l’unanimité du Cabinet, alors que le leader d’Israël Beiténou aurait exprimé, tout comme son rival Naftali Benett sa vive opposition au cessez- le-feu. Au bout du compte c’est l’opinion publique israélienne qui a très vite exprimé son désaveu puisque 74 % des Israéliens ont affirmé qu’ils ne comprenaient pas la décision du cabinet restreint. Alors que s’est-il passé ? Pourquoi un Premier ministre comme Nétanyaou qui fait les gros bras face aux Iraniens deviendrait- il poltron face au Hamas ? Pourquoi ne pas profiter d’une conjoncture favorable pour « remettre les pendules à l’heure et le mouvement terroriste à sa place ? »
A ces questions cardinales, surtout si l’on s’achemine vers des élections anticipées,
on peut avancer plusieurs réponses :
1. Ce que l’on voit d’ici
La première fait référence à une phrase célèbre prononcée par un ancien Premier ministre et ex-rival politique de Nétanyaou, Ariel Sharon. Celui-ci disait, lorsqu’on lui demandait comment lui le
bulldozer militaire et le faucon racé était devenu une « colombe de la paix » au point de prétendre que « la retenue, c’est la force » et que « Ce que l’on voit d’ici, on ne le voit pas de là-bas » .Sous-entendu : tout homme politique qui arrive au summum de la hiérarchie a une vision générale bien plus vaste que n’importe quel chef de l’opposition ! Alors évidemment, il est possible que Binyamin Nétanyaou sache des choses que nous ne savons pas. Quoi ? Les exemples ne manquent pas : Il peut par exemple avoir conclu avec les Egyptiens un accord qui permettrait la restitution dans les prochaines semaines des corps d’Hadar Goldin et Oron Shaoul et le retour d’Abera Mengistu et du civil bédouin A-Sayied. Imaginons que d’ici deux ou trois semaines, après que le calme se soit maintenu, la présidence du Conseil publie un communiqué annonçant le retour des corps des deux soldats. Imaginons alors que Nétanyaou donne une conférence de presse en disant que le cessez-le-feu du 13 novembre était le prix à payer pour ramener les deux soldats. Sa cote de popularité battra des records. Sans aller jusque-là : supposons que lors de la réunion du cabinet restreint les responsables de la Défense nationale, le chef
d’état-major Gady Azencot et le chef du Shin Bet Nadav Argaman aient remis aux ministres des estimations très claires selon lesquelles l’Iran attend le déclenchement d’un conflit dans le Sud à Gaza pour donner l’ordre au Hezbollah d’ouvrir le feu en direction d’Israël, à l’aide de ses 130 000 missiles… Est-ce que l’on ne comprendrait pas alors la retenue de Mr Nétanyaou ?
2. La « retenue » du Hamas :
C’est vrai, tirer 450 missiles en deux jours sur le territoire israélien est un clausus belli pour Israël. Mais le Premier ministre peut et doit également mettre dans la balance ce que le ministre Tsa’hi Hanegbi a
qualifié maladroitement de « tirs modérés du Hamas » : il est vrai aussi que le Hamas aurait pu tirer sur la région de Tel-Aviv comme en 2014. Or il ne l’a pas fait. Le mouvement terroriste aurait pu également tirer sur l’autobus conduisant les soldats vers leur point de rassemblement alors que ces soldats étaient à bord. Il a préféré attendre qu’ils descendent. Pourquoi ? Parce qu’il a compris que s’il avait agi de la sorte, Tsahal n’aurait rien pu faire d’autre que pilonner Gaza. Il a donc fait montre de pragmatisme et a ainsi ouvert une brèche en vue d’un cessez-le-feu.
3. L’expérience
Mais même sans faire d’hypothétiques suppositions, il y a un facteur déterminant : l’expérience. Pour justifier l’approche « pacifiste » du Premier ministre, il suffit de rappeler qu’il a déjà vécu un cas de figure semblable durant l’été 2014. Il n’a pas oublié qu’il lui a été bien plus facile de lancer l’opération Bordure protectrice que de la terminer après près de 2 mois d’hostilités. Il n’a pas oublié qu’au bout du compte, même si le Hamas a été alors considérablement affaibli, du point de vue israélien on est revenu après ces 50 jours de combat à la case départ sans avoir réussi à réellement faire fléchir le mouvement terroriste.
4. Le poids des responsabilités
Mais il y a un élément plus passionnant que tous les autres et qu’il faut mettre en évidence surtout à l’approche d’éventuelles élections anticipées : Mr Nétanyaou semble ressentir, plus que jamais le poids des responsabilités. C’est vrai : déjà durant l’opération Bordure protectrice, il avait joué le rôle de l’adulte responsable, de celui qui se conduit posément et réfléchit longtemps avant de prendre une décision militaire dramatique. Cette fois Mr Nétanyaou a 4 ans d’expérience en plus. Il est plus mûr, plus raisonnable et plus réaliste que par le passé. Et il le dit lui-même. Ainsi dimanche 11 novembre quelques heures à peine avant que l’opération des unités spéciales de Tsahal ne s’embourbe, le Premier ministre avait surpris en organisant, d’une heure à l’autre, une conférence de presse pour les journalistes israéliens qui l’accompagnaient. Ses propos devant ce forum sont étonnants : « Tout ce qui m’importe, et sur lequel je suis entièrement focalisé c’est de savoir comment renforcer notre puissance. Je vais vous dire quelque chose et je ne le dis pas par hasard : je vois des soldats prendre leur sac, embrasser leurs parents, quitter leur foyer et parfois certains d’entre eux ne reviennent pas. Si c’est nécessaire d’envoyer ces jeunes gens au combat au péril de leur vie, je le fais. Mais si l’on peut obtenir le même résultat sans envoyer ces soldats alors c’est ma responsabilité de le faire et d’éviter des conflits superflus. ». De retour en Israël, mardi matin, le Premier ministre a déclaré devant la tombe de Ben Gourion à Sdé Boker : « Etre un leader ce n’est pas prendre des décisions simples. C’est de prendre les décisions qui s’imposent même si elles ne sont pas populaires. »
5. Gaza un problème sans solution
Cela nous conduit à l’ultime explication de cette attitude pondérée du Premier ministre : il est persuadé que le problème de Gaza n’a pas de solution. Il l’a également dit dans sa conférence de presse parisienne: « Il n’y a pas de solution politique au problème de Gaza. » Et dans l’absence d’une solution, il faut apprendre à gérer un conflit. Mr Nétanyaou estime que c’est son rôle et ce, même s’il doit pour cela payer
un prix politique. Il espère que le moment venu, l’opinion publique le comprendra. Cependant, même si l’on trouve toutes les circonstances atténuantes possibles à BN pour justifier son attitude et la décision de valider le cessez-le-feu, une conclusion s’impose, et c’est sans aucun doute le plus inquiétant : Le même Nétanyaou a semblet- il totalement oublié une autre de ses déclarations selon laquelle, au Proche Orient, il n’y a pas de place pour les faibles. Parce que concrètement, en menant cette politique plus que modérée, le Premier ministre donne d’Israël, l’image d’un pays faible qui redoute d’aller à la confrontation. Et même si cette image est erronée, même si Tsahal peut ne faire du Hamas qu’une bouchée, tant que la force d’Israël (ou sa force de dissuasion) ne s’exprimera pas de manière très ferme, les organisations terroristes auront tendance à provoquer l’Etat hébreu au Sud mais également au Nord où la menace que fait peser le Hezbollah est bien plus radicale encore. Il ne fait aucun doute que Hassan Nassrala a suivi de très près les développements de fin de semaine dernière. Lui qui s’était targué en 2000 de mieux connaître que quiconque la société israélienne a certainement remarqué que tant l’échelon politique que l’échelon militaire font tout pour éviter une guerre. Même s’il aurait tort d’en profiter pour faire les «gros bras». Il ne faut tout de même pas oublier que douze ans après la seconde guerre du Liban qu’il a provoqué Nassarala est toujours obligé de vivre dans son bunker de crainte
d’être éliminé par les drones de Tsahal.
Daniel Haïk