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9 Tishri 5785‎ | 11 octobre 2024

Yonathan Bendennoune Accomplis Sa volonté Chabbat ‘Hayé Sarah

La Torah s’étend tout particulièrement sur le récit d’Eliézer, parti en quête d’une épouse pour Its’hak, au point de consacrer pas moins de 900 mots à ce sujet ! Ce qui fit dire à nos Sages que le récit des serviteurs des patriarches est plus précieux que certaines lois essentielles de la Torah…

Une michna des Pirké Avot (2, 4) cite le célèbre enseignement suivant au nom de Rabban Gamliel : « Accomplis Sa volonté comme si c’était la tienne, afin qu’Il fasse ta volonté comme si elle était Sienne ! » Suivant l’approche classique, cette michna nous apprend comment fonctionner avec D.ieu selon un échange de bons procédés : si tu accomplis Sa volonté, Lui-même exaucera en échange tous tes désirs et comblera tous tes souhaits. Selon cette lecture, on se trouve là à des lieues de cet autre enseignement non moins illustre des Pirké Avot (1,3) : « Ne soyez pas comme des domestiques qui servent leur maître afin de recevoir un salaire, mais comme des domestiques qui servent leur maître sans attendre de rémunération ! » En effet, Rabban Gamliel préconiserait bel et bien de se soumettre à la volonté divine
afin de voir tous nos désirs comblés ! N’est-il pas aberrant de réduire notre dévouement religieux à une telle motivation mercantile ? Un pari hasardeux Pour mieux comprendre ce thème, revenons
un instant à l’épisode où Eliézer, le serviteur du patriarche, arrive à ‘Haran à la recherche d’une épouse
pour Its’hak. Se tenant près des sources, là où les jeunes femmes viennent puiser de l’eau, il prononce une singulière prière, dans laquelle il implore D.ieu de lui indiquer par un signe la jeune fille qui sera digne de devenir la mère du peuple juif : « La jeune fille à qui je dirai : “Veuille pencher ta cruche, afin que je boive”, et qui répondra : “Bois, puis je ferai aussi boire tes chameaux”, sera celle que Tu auras destinée à Ton serviteur Its’hak » (Béréchit 24, 14). Certes, ce signe consistait en une preuve de bienveillance et d’altruisme, qualités essentielles pour poursuivre l’héritage d’Avraham. Néanmoins, la prétendante qui aurait répondu correctement à cet « examen de conscience » aurait très bien pu ne pas du tout convenir à  Its’hak, et Eliézer se serait retrouvé face à un inextricable imbroglio… Nos Sages
enseignent à cet égard : « Eliézer, le serviteur d’Avraham, a formulé une requête inconvenante, mais il a pourtant été exaucé [par D.ieu] de manière satisfaisante, puisqu’Il lui a envoyé Rivka » (Taanit 4/a).
Pourquoi donc Eliézer s’est-il permis de se hasarder de la sorte, par un si étrange pari ? Pourquoi n’a-t-il pas attendu d’avoir toutes les informations nécessaires sur la jeune prétendante, avant de prendre une décision aussi cruciale ? C’est que, comme nous le savons bien, Eliézer avait une fille, qu’il aurait ardemment  souhaité voir épouser Its’hak. Mais Avraham avait abruptement repoussé cette proposition : « Tu appartiens à une descendance maudite, tandis que celle de mon fils est bénie : le maudit
ne peut s’unir au béni ! » (voir Rachi 24, 39) Faire ployer ses désirs il ne fait aucun doute qu’Eliézer éprouva les plus grandes difficultés à accepter la décision de son maître. N’avait-il pas été son serviteur dévoué pendant des décennies ? N’avait-il pas éduqué sa propre fille conformément aux valeurs enseignées par Avraham ? Et à cet égard, n’était-elle pas la jeune fille la plus désignée pour endosser le rôle de future matriarche ? Pourtant, force lui fut d’admettre que dans ces circonstances, l’hérédité l’emporta sur le mérite. Il l’admit, mais il ne l’accepta certainement pas de bon coeur. S’il savait en son for intérieur que la décision du patriarche était juste et équitable, sa volonté intime avait le plus grand mal à y consentir. Aussi, en arrivant à ‘Haran, il savait pertinemment qu’il ne pourrait s’empêcher d’être partial dans son choix, et  qu’il risquait fort d’écarter toute jeune fille pour de vains prétextes. Il choisit donc de s’en remettre à D.ieu, et de Le laisser lui montrer par un signe la jeune fille destinée à Its’hak. Comme les motivations de sa démarche étaient pures, D.ieu lui répondit favorablement et mit sur son chemin la pieuse et vertueuse Rivka, bien que sa requête fût en soi « inconvenante ». Dilemmes cornéliens Ce que nous apprend cet épisode, c’est que dans de nombreuses circonstances, nous nous retrouvons face à ce genre de dilemmes cornéliens, où la raison et la passion s’opposent avec frénésie. Nous savons pertinemment où se trouve le bien et ce que D.ieu attend véritablement de nous, mais nos profonds désirs ne peuvent s’y plier. À cet égard, Rabban Gamliel nous propose le conseil suivant : « Accomplis Sa volonté comme si c’était la tienne… » Autrement dit, lorsque tu accomplis les mitsvot, ne les fais pas simplement parce que c’est là ton devoir, et parce que c’est un bien nécessaire auquel il est raisonnable de se soumettre. Au contraire, nous devons nous soumettre à Sa volonté « comme si c’était la nôtre » – en éveillant notre désir et notre volonté pour les préceptes divins, pas moins que pour les
actes que la passion nous incite à réaliser. Or, si l’on se conditionne de la sorte, on peut avoir l’assurance « qu’Il fera ta volonté comme si elle était Sienne » – c’est-à-dire que notre volonté finira pas se modeler conformément à la Sienne. De la sorte, nous ne percevrons plus l’accomplissement des mitsvot comme un devoir nécessaire, mais comme l’expression d’une volonté intime, que nous partageons avec Lui. C’est ainsi qu’au fur et à mesure, l’écart entre nos sentiments de devoir et notre passion finira par diminuer, si bien qu’il nous sera véritablement possible d’accepter Sa volonté comme si c’était la nôtre.

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