Les actes antisémites, qu’on croyait en baisse, ont repris cet hiver et l’assassinat barbare de Mireille Knoll zal a profondément marqué les esprits. Il n’empêche que de nombreuses kehilot à travers la France relèvent la tête, inaugurent de nouveaux bâtiments et veulent construire l’avenir.
L’actualité communautaire, depuis 2012, est invariablement marquée par les actes antisémites dont nous souffrons et qui sont pour partie à l’origine de l’alya massive enregistrée au cours des cinq à six dernières années. Néanmoins, ces actes sont en baisse relative. Ils ont chuté en 2017 (autour de moins 20 %), mais plus faiblement qu’entre 2015 et 2016 (moins 58, 5 %). Ce sont les statistiques de la Délégation interministérielle chargée de la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. A sa tête, le préfet Frédéric Potier, qui a remarqué à la mi-janvier que l’inquiétude de notre communauté demeurait extrêmement forte et qui a surtout constaté par la suite, à la fin de l’hiver, une recrudescence des attaques antijuives sur le territoire français. Nous y reviendrons mais commençons par les bonnes nouvelles : contrairement à ce que d’aucuns s’imaginent, la pratique du judaïsme n’est pas menacée partout dans l’Hexagone. Si certaines kehilot s’étiolent en raison du départ de nos coreligionnaires pour Israël ou pour des zones résidentielles bien sécurisées, à commencer par l’ouest parisien, d’autres font preuve d’un dynamisme réel. A Amiens (Somme), une nouvelle synagogue a été inaugurée le 22 octobre. L’édifice ultra-moderne est constitué de briques rouges, qui font référence aux paysages industriels picards. Mais la façade est uniformément blanche et rappelle volontairement le style Bauhaus tel-avivien… Les bénévoles de la Hazac, cette antenne du Consistoire visant à animer des offices et préparer des séoudot dans les petites communautés non ou mal pourvues en services casher, s’y rendent à intervalles réguliers. A Perpignan, l’inauguration du nouveaucentre communautaire de deux mille mètres carrés et de sa synagogue, le 20 juin, a représenté pour le président Daniel
Halimi à la fois un « redéploiement » et le gage d’une vitalité renforcée. « Cet Espace Hameïri est la démonstration que notre kehila n’est pas moribonde, contrairement à ce qui prévaut souvent en province, a assuré Daniel Halimi à Haguesher. Ici, tout est moderne, ultra-sécurisé, il y a une cour agréable pour les enfants car nous sommes dans une ancienne école désaffectée qui sera au final entièrement restaurée », a-t-il proclamé. Nouveau cadre cultuel, aussi, à La Rochelle
(Charente-Maritime) depuis le 3 décembre. Dans cette ville, il y a minyan tous les Chabbats depuis des décennies et le judaïsme local est en phase ascensionnelle. Cela dit, aucun rabbin n’exerce à plein temps dans la ville. Le dernier en date était le rav Frédéric Lagemi, qui a dû partir il y a une quinzaine d’années. Mais avec la choule flambant neuve, forte de cent cinquante places, le besoin est là : La Rochelle est calme, sans tensions interethniques et économiquement attractive, comme Bordeaux. La côte et surtout l’île de Ré toute proche regorgent en été de vacanciers juifs venus de la capitale ou de l’étranger. Certains
y ont acquis une résidence secondaire. Du coup, la synagogue est très fréquentée entre mai et septembre. De jeunes couples s’installent à demeure et le minyan devrait continuer à grossir. S’agissant des agressions antisémites, elles ont commencé autour des fêtes de Tichri avec la nuit cauchemardesque vécue par Roger Pinto, président-fondateur de l’association Siona et militant communautaire de toujours. Il a été séquestré, battu et insulté avec deux membres de sa famille à son domicile de Livry-Gargan (Seine- Saint-Denis), dans la nuit du 7 au 8 septembre 2017. Leitmotiv – désormais habituel
– des quatre assaillants : « Vous êtes juifs, donc vous gardez de l’argent chez vous ». Ils ont été interpellés le 28 novembre. A Créteil (Val-de-Marne), cinq croix gammées géantes de plus de deux mètres de haut, peintes en rouge sur les volets métalliques baissés aux heures de fermeture, ont été découvertes par les gérants de deux magasins d’alimentation conforme à la Halakha dans la matinée du 3 janvier. Ils sont situés à proximité l’un de l’autre dans le centre commercial Kennedy, au coeur du quartier de Mont-Mesly. La première enseigne se nomme Promo et Destock, la seconde… Hypercacher. La provocation a
d’autant plus choqué la communauté juive de la ville qu’elle est survenue à quelques
jours du troisième anniversaire de la tuerie de la porte de Vincennes, perpétrée dans une autre succursale de l’Hypercacher. La semaine suivante, la même boutique Promo et Destock a été carrément incendiée. Le 10 janvier, une adolescente prénommée Rivka a été agressée à Sarcelles (Val-d’Oise) par un trentenaire d’origine africaine qui lui a entaillé la pommette droite avant de prendre la fuite. La victime revenait par le train du lycée orthodoxe Merkaz Hatorah du Raincy où elle est scolarisée. Le 29, Nathan Cohen, un garçon de huit ans portant la kippa et un talit katan, a été passé à tabac dans la même ville. Le président du Consistoire, Joël Mergui, a immédiatement demandé aux autorités publiques d’enrayer une « spirale dangereuse ». Le 19 février, la fillette de quatorze mois du rabbin de Bron, le rav Rephael El Haddad, a été brûlée au moyen d’un produit solvant déposé probablement la nuit précédente
dans sa poussette – point d’orgue d’un long harcèlement haineux provenant d’un jeune du quartier de souche maghrébine. Mais le principal traumatisme de cette année 5778 ayant frappé notre communauté
est l’assassinat barbare de Mireille Knoll zal. Cette rescapée de la Shoah âgée d quatre-vingt-cinq ans a été retrouvée brûlée et lacérée de coups de couteau dans la soirée du 23 mars, à son domicile parisien de l’avenue Philippe-Auguste (11e arrondissement). Le crime a suscité une émotion considérable. Trente mille personnes ont participé à une marche blanche organisée dans le quartier le 28 mars et de nombreux responsables politiques se sont rendus à la synagogue des Tournelles pour un office mémoriel. Le président Macron a assisté en personne aux obsèques de Mireille Knoll zal au cimetière de Bagneux. Binyamin Nétanyaou s’est entretenu avec l’un de ses fils, Daniel, pour lui exprimer la solidarité
de l’Etat juif. « Votre chère mère, lui a-t-il dit, tuée de façon aussi cruelle, nous rappelle les luttes qui sont devant nous ». A la question d’un journaliste du Monde : « Comment voyez-vous l’avenir ? », l’historien Marc Knobel, responsable des études au CRIF, a répondu qu’il fallait se préparer à une nouvelle vague d’alya en provenance de l’Hexagone. « Soixante mille d’entre nous sont partis en l’espace de dix ans (pas seulement en Israël – NDLR), pour une communauté qui compte autour de cinq cent mille personnes, a-t-il dit. Je pense que ça ne va pas s’arrêter là. Les gens ont peur pour leurs enfants et maintenant pour leurs parents. Toutes les conditions sont réunies » pour davantage de départs.
« Dans d’autres pays européens aussi, a-t-il précisé, même s’il n’y a pas de morts (…). Le continent va se vider de ses Juifs ». A l’heure qu’il est, les circonstances exactes de la mort de Mireille Knoll zal restent floues, car deux suspects se contredisent et s’accusent mutuellement. Quelques semaines après le drame, trois cents personnalités ont réagi en signant un manifeste « contre le nouvel antisémitisme » sévissant dans l’Hexagone, marqué par l’islam radical, et dénoncé le silence médiatique à ce sujet tout comme « l’épuration ethnique à bas bruit » qui frappe le judaïsme de ce pays dans certains quartiers. Le texte a été publié le 22 avril dans le quotidien Le Parisien. L’ancien chef de l’Etat Nicolas Sarkozy et l’ex-Premier ministre Manuel Valls font partie des auteurs de la tribune, souhaitant que la lutte contre ce fléau soit déclarée « cause nationale ». Dans ce contexte, le verdict prononcé début novembre à l’encontre d’Abdelkader Merah, certes historique avec vingt ans de prison, n’a pas satisfait les parties civiles.
Le parquet a d’ailleurs fait appel. La cour d’assises spéciale de Paris a en effet jugé le frère du tueur de Toulouse coupable d’associat ion de malfaiteurs mais a refusé d ’admettre sa complicité dans le massacre
de l’école Ozar Hatorah. Une version des faits qui a indigné les avocats des victimes et responsables communautaires. Même indignation dans l’affaire Sarah Attal- Halimi zal, après une nouvelle expertise
concluant à l’irresponsabilité pénale de son bourreau, Kobili Traoré. Les parties civiles considèrent que la juge d’instruction, Anne Ihuellou, multiplie les manoeuvres dilatoires, refusant de reconnaître pleinement le caractère prémédité et antisémite de cet assassinat précédé d’actes de torture qui date d’avril 2017. Renaissance juive à Troyes La Maison-Musée Rachi a ouvert à Troyes en septembre 2017. Ce beth hamidrach médiéval reconstitué, doublé d’une exposition permanente sur la vie et l’oeuvre du maître champenois, devrait multiplier le nombre de pèlerins juifs se rendant chaque année dans la
région. Ils sont déjà vingt à trente mille, venus d’Israël et de toute la diaspora. L’objectif serait d’en attirer trois fois plus. Une première étape avait été franchie avec la rénovation de la synagogue, dont le bâtiment restauré a été inauguré en 2016. Quatre nominations à retenir Le rav Binyamin Chelly, dayan d’Armentières (Seine-et-Marne), est devenu en début d’année juive le deuxième membre du Beth Din de Paris après cinq années au cours desquelles le rav Michel Gugenheim siégeait seul, assisté seulement de délégués non membres. Le grand rabbin de la capitale et président du tribunal a expliqué à Haguesher qu’il avait hâte de pallier ce manque et de trouver une personnalité suffisamment aguerrie, sur les plans humain et religieux, pour assumer la lourde tâche en question et travailler à ses côtés. « Mais il a fallu du temps car il est difficile de dénicher la perle rare », a-t-il ajouté. Avant sa nomination, le rav Chelly s’occupait de la casherout des mikvaot au sein du Consistoire. Avant d’accepter sa nouvelle mission, il a consulté des guedolé hador de la gola et surtout d’Israël, qui lui ont demandé « unanimement » de répondre positivement à la proposition du rav Gugenheim, a-t-il précisé à notre intention. Zvi Ammar, quant à lui, a été élu le 17 décembre dernier à la tête du Consistoire Alpes-Provence. Douze mois après avoir cédé son fauteuil de président du Consistoire de Marseille à Michel Cohen-Tenoudji, il entend dynamiser les petites kehilot régionales et empêcher à tout prix leur disparition, a-t-il promis à Haguesher. A Toulouse, le nouveau rabbin consistorial, arrivé en septembre 2017, a été officiellement
installé dans sa fonction le 28 janvier. Avant la cérémonie, le rav Doron Naïm nous a indiqué que sa priorité était le kirouv en direction de la jeunesse. Enfin, le rav Ariel Bendavid a été nommé rabbin de Nantes le ٢٩ mai. C’est un quadragénaire qui officiait auparavant à Colombes, près de Paris.
Trois disparitions marquantes Le décès du grand rabbin Josy Eisenberg zal, le 8 décembre, a marqué les esprits dans la mesure où ce vétéran de la télévision française et… mondiale animait les émissions religieuses juives du dimanche matin depuis 1962 ! Record absolu de longévité dans l’audiovisuel européen. Le grand rabbin Haïm Korsia a salué « son intelligence, sa curiosité » et « une personnalité importante dans la reconstruction » de notre communauté après-guerre. Le président Emmanuel Macron a dit « apprendre avec tristesse la mort d’une grande âme du judaïsme ». Dans la nuit du 4 au 5 mars, c’est Robert Assaraf zal qui nous quittait. Cette figure de la communauté juive marocaine
a conseillé le roi Hassan II puis dirigé le puissant Omnium nord-africain (ONA), conglomérat public investissant dans toutes sortes d’activités comme les mines ou l’agroalimentaire. Il a été longtemps
propriétaire de l’une des quatre stations de la fréquence juive parisienne, Radio Shalom. Il s’y produisait quotidiennement à travers une « revue de presse israélienne » après avoir réalisé son alya. Enfin, les hommages ont fusé après l’annonce de la disparition de Claude Lanzmann zal, le 5 juillet. Le journaliste, écrivain et cinéaste auteur du célèbre film « Shoah » (en 1985) s’est éteint à l’âge de quatre-vingt-douze ans. Une « perte énorme pour l’humanité et pour le peuple juif, a commenté le porte-parole du ministère des Affaires étrangères à Jérusalem, Emmanuel Na›hshon. Le disparu a redonné une voix aux millions des nôtres exterminés par les nazis et a fait découvrir l’immensité de cette tragédie au monde. Que sa mémoire soit bénie ». Yad Vashem a évoqué dans un communiqué une « marque indélébile sur la conscience collective ». Consistoire : large victoire électorale pour Joël Mergui Le scrutin du 26 novembre avait pour objet le renouvellement de la moitié des administrateurs du Consistoire de Paris. ecore sans appel pour les treize candidats soutenant la majorité sortante, celle du président Joël Mergui : douze d’entre eux ont été élus, contre un seul sur neuf du côté des partisans de David Revcolevschi. Le prix d’excellence revient au sortant Jack-Yves Bohbot, président de la synagogue de la rue Notre-Dame-de-Nazareth (3e arrondissement), avec deux mille quatre-vingt-quinze voix, suivi de près par David Amar, sortant lui aussi et responsable de la communauté du 16e (rue Saint-Didier). Il a recueilli sur son nom deux mille quatre-vingt-cinq suffrages. Les trois candidats indépendants ont été battus. Trois mille sept cent treize électrices et électeurs se sont rendus dans l’un des quarante-neuf bureaux de vote installés dans des lieux de culte répartis sur l’ensemble de l’Ile-de-France. En 2013, ils étaient environ cinq mille. Cette diminution s’explique à la fois par l’alya d’un grand nombre de participants potentiels et par l’absence d’enjeu véritable : chacun était persuadé que la majorité serait reconduite. Mais personne n’avait imaginé l’ampleur de la victoire. Dramatique incendie dans la kehila de Bussières Le drame s’est produit dans la nuit du 19 au 20 mars au domaine de Séricourt, à Bussières. Il s’agit d’un espace clos appartenant à la yéchiva Beth Yossef de cette petite commune de Seine-et-Marne où étudient une centaine de ba’hourim sous la direction du rav Nathan Yabra Hacohen. La plupart ne sont pas français : ils viennent d’Amérique du Nord et surtout d’Israël. Internes, ils habitent dans un immeuble
qui leur est réservé. Le personnel encadrant est aussi logé ici. Sept familles demeuraient dans un ancien château. C’est la chaudière de cette vieille bâtisse qui a été endommagée accidentellement ; le feu s’est propagé très rapidement, a détruit la toiture et la quasi-totalité des aménagements intérieurs – devenus inhabitables. On n’a déploré aucun blessé, barou’h Hachem, mais trente-huit personnes – professeurs
de kodech, employés divers, leurs conjoints et leurs enfants – ont été privées de leurs appartements. Un lourd traumatisme pour cette communauté orthodoxe.
Axel Gantz