-Haguesher : Comment expliquer ce véritable tournant qu’est l’exigence russe d’un retrait des forces étrangères du sud-syrien ?
Dore Gold : Cette exigence montre bien que la politique russe devient plus ambitieuse. Le Kremlin a compris que l’Iran est un obstacle majeur pour les intérêts stratégiques de la Russie au Moyen-Orient et que ses menaces contre Israël génèrent une escalade régionale au détriment des intérêts russes. Ainsi, dans une étude publiée à Moscou par un think-thank russe proche de Poutine, l’Iran est jugé responsable de l’escalade actuelle face à Israël sur le théâtre d’opération syrien.
En fait, Poutine avait de fortes réticences sur l’attitude de l’Iran et son exportation de la Révolution islamique en Syrie. Désormais avec la défaite de Daësh, l’activité militaire iranienne dans ce pays a perdu toute justification. Certes, la Russie ne veut pas couper ses liens avec l’Iran, mais il est clair qu’elle réduit sa liberté d’action et qu’elle s’opposera à son utilisation du sol syrien pour lancer des opérations contre Israël ou la Jordanie.
Existait-il des signes avant-coureurs de ce revirement russe ?
Les premiers signes de discorde entre la Russie et l’Iran ont été dévoilés en février 2018 à la Conférence Valdaï de Moscou, à laquelle ont participé le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammed Javad Zarif, son homologue russe Lavrov, et moi-même. Lavrov avait alors exprimé ses profondes divergences avec les Iraniens en déclarant : « Nous avons maintes fois déclaré que nous n’accepterons pas les déclarations selon lesquelles Israël, en tant qu’Etat sioniste, devrait être ‘détruit et rayé de la carte’ ! ».
L’approche expliquant que Moscou fut surtout confronté au militantisme djihadiste de l’Islam sunnite et non à celui des chiites est superficielle puisque l’Iran soutient aussi les Palestiniens sunnites du Djihad islamique et du Hamas, tout en appuyant d’autres organisations sunnites comme les Talibans, le réseau Khaqani en Afghanistan et au Pakistan, et en hébergeant de hauts dirigeants d’Al-Qaïda. Rien n’empêche de prévoir que l’Iran ne soutienne un jour les ennemis de la Russie.
Qu’est-ce qui a provoqué le « déclic » des décisionnaires russes ?
– En fait, la donne géopolitique a changé dès le printemps 2015 quand les Russes ont commencé à accumuler en Syrie bien des avantages politiques, économiques, stratégiques et militaires.
Auparavant, la Russie avait soutenu l’intervention iranienne en Syrie car la situation sécuritaire en Asie centrale se détériorait avec des conflits internes en Ouzbékistan, au Kazakhstan et au Tadjikistan. Pire encore : l’Etat islamique (EI) faisait ses premières armes en Afghanistan. Or une victoire de l’EI en Syrie aurait pu avoir des implications pour la sécurité des régions russes peuplées de Musulmans.
Le Kremlin a bien compris en 2015 qu’il ne pouvait pas développer son emprise en Syrie tant que les Iraniens y seraient installés. Ayant obtenu depuis 2015 de nombreux atouts stratégiques, les Russes veulent sauver le régime Assad. Ils ont aussi saisi que la stratégie d’Israël en Syrie est défensive car elle voulait empêcher les livraisons d’armes iraniennes au Hezbollah et éviter de donner à l’Iran un avantage militaire. Sur le terrain, Israël a reçu un feu-vert de Poutine pour frapper ces transferts d’armes et lancer des raids contre des bases iraniennes en Syrie.
Avec cette nouvelle donne et ces messages limpides en provenance de Moscou, l’Iran ne pourra plus être un facteur déstabilisant dans toute la région et mettre en péril les acquis de la Russie ni ses récents atouts stratégiques. Propos recueillis par Richard Darmon