A l’heure où nous mettions sous presse, il était encore impossible de déterminer de manière précise si la crise politique aiguë de ces derniers jours allait provoquer des élections législatives anticipées ou bien, si un accord de compromis allait être finalement trouvé. Cependant, à l’attention de Binyamin Nétanyaou, voici quelques conseils de prudence dont il devrait tenir compte avant de précipiter l’Etat d’Israël dans une campagne électorale, sans autre raison apparente que les enquêtes judiciaires le concernant. Analyse.
Ceux qui, au cours des derniers jours, murmurent aux oreilles du Premier ministre Binyamin Nétanyaou, devraient lui rappeler la dramatique déconvenue politique subie par le président français Jacques Chirac en 1997 lorsque, persuadé de sortir renforcé par des élections anticipées, celui-ci a décidé de dissoudre l’Assemblée Nationale. Les sondages, qui accordaient alors une très large majorité à la Droite (343 sièges, contre 204 à la Gauche), mais également la volonté de « donner la parole au peuple », avaient alors poussé le président français à entreprendre une démarche qui n’était aucunement justifiée. Une démarche qui se transformera, 40 jours plus tard, en une impressionnante Bérézina politique, qui offrira à la Gauche une majorité inattendue, et contraindra Chirac à partager le pouvoir avec les Socialistes de Jospin…. Le sentiment dominant, en cette semaine politique déterminante et, alors que l’on ne connaît pas encore l’issue définitive de la crise actuelle, est que Mr Nétanyaou, qui pourtant affectionne l’Histoire avec un grand H, ne sait pas toujours en tirer les leçons. En public, le Premier ministre a exprimé, lundi à la tribune de la Knesset, son souhait de voir cette crise se résoudre : « Nous avons encore de nombreux défis à relever et notre gouvernement doit aller jusqu’au bout de son mandat en novembre 2019 », a-t-il déclaré. Mais depuis qu’il est rentré des Etats-Unis, en fin de semaine dernière, Mr Nétanyaou est, semble-t-il, parvenu à la conclusion qu’il était dans son intérêt personnel, – pas obligatoirement dans celui de la nation -, d’anticiper des élections. Comme Chirac en 97, mais pas pour les mêmes raisons, il a estimé qu’il devait « redonner la parole au peuple » afin que celui-ci exprime, dans les urnes, son avis sur les enquêtes judiciaires dans lesquelles il est impliqué. Seul problème, de taille : même la plus nette victoire électorale ne pourra pas entraver le travail, lent et fastidieux de la justice israélienne. Même plébiscité par le peuple, Mr Nétanyaou ne pourra échapper aux décisions du Conseiller juridique Avi’haï Mendelblit. Et si ce dernier devait décider vers la fin de l’été d’inculper le Premier ministre, même le plus net des plébiscites dans les urnes, ne pourra le faire changer d’avis. C’est la première raison pour laquelle Binyamin Nétanyaou ne devrait pas s’engager sur la voie tumultueuse d’élections anticipées. La seconde est que, comme l’a prouvé le précédent Chirac, l’issue d’une telle campagne reste incertaine. Même si les sondages sont pour l’instant élogieux, même si le public israélien ne semble pas partager le dédain de la presse et des élites pour Nétanyaou, il peut, au cours des trois mois de campagne électorale, se passer beaucoup de choses et certains de ces développements pourraient bien affecter le Premier ministre et le faire alors « plonger » dans ces mêmes sondages. La troisième raison qui devrait conduire Mr Nétanyaou à réfléchir avant de saborder l’actuelle Knesset est, là encore historique : l’histoire politique d’Israël a, le plus souvent, prouvé que l’opinion publique israélienne ne pardonnait pas à ceux qu’elle tenait pour responsables des élections anticipées. Les sondages sont formels : une forte majorité d’Israéliens (54 %) ne veut pas aller aux urnes à la fin du mois de juin prochain : ils comprennent que le Premier ministre est préoccupé par les enquêtes judiciaires le concernant mais ils ne comprennent pas les motivations d’un nouveau scrutin. Ils savent que des élections avant l’heure vont ralentir la croissance économique, paralyser certains marchés et, finalement, coûter aux contribuables, c’est-à-dire à eux-mêmes, la bagatelle de 2 milliards de shekels ! Jeter cet argent par les fenêtres, sans aucune raison autre que le sauvetage politique du Premier ministre, risque d’être, pour eux, inacceptable. Mais s’il y a une logique quelconque au désir « secret » de Mr Nétanyaou de provoquer des élections anticipées, celle-ci disparaît totalement lorsqu’il s’agit d’expliquer l’attitude étonnante d’Avigdor Lieberman dans cette crise. Alors que les partis orthodoxes ont parfaitement mesuré les dangers d’une confrontation électorale prématurée, et ont fait montre d’un réel bon sens politique en ne réclamant le vote de la loi sur l’enrôlement des élèves des yéchivot qu’en lecture préliminaire, le leader d’Israël Beitenou, lui, a choisi de monter au créneau : il s’est livré à une forme de provocations envers les partis orthodoxes en décidant comme dans le cas de l’ouverture des supérettes le chabbat que, coûte que coûte, il ne votera pas l’amendement à la loi sur l’enrôlement des étudiants ‘harédim. L’incapacité de Nétanyaou à l’obliger au respect des accords de Coalition conclus, est une preuve de plus de la fragilité politique du Premier ministre. Mais l’acharnement de Lieberman lui est incompréhensible. Et à plus forte raison, si l’on tient compte des sondages déjà cités et publiés dans la presse, ce mardi. Selon ces sondages, le Israël Beitenou ne franchirait que de justesse ou ne franchirait pas le seuil d’éligibilité (entre 4 et 5 mandats). En adoptant une position jusqu’auboutiste contre l’accord sur l’enrôlement des élèves orthodoxes, Lieberman était donc en milieu de semaine en train de creuser de ses propres mains sa tombe politique. Pourquoi s’engager dans une voie aussi incohérente ? Peut-être parce que, depuis quelques années, Lieberman est devenu le prototype de l’incohérence politique. Avant d’entrer dans le gouvernement Nétanyaou, il l’avait copieusement critiqué. Depuis, on le voit parfois adopter des positions proches de l’extrême-droite israélienne et parfois on pourrait aisément le classer au sein du Meretz (extrême-gauche). Ces zigzags ont d’ailleurs commencé à lasser une partie de l’opinion publique israélienne qui ne comprend pas vraiment ce que veut Lieberman (le comprend-il lui-même ?). Quel que soit l’issue de cette crise, Lieberman risque bien d’y laisser quelques plumes. Et à moins qu’il n’ait conclu ces derniers jours un accord secret avec Nétanyaou, on l’imagine mal retrouver le portefeuille de la Défense après des élections anticipées. A l’heure où nous mettions sous presse, il était encore trop tôt pour affirmer de manière certaine que l’Etat d’Israël s’acheminait vers de nouvelles élections ou vers un règlement de la crise. Mais quoi qu’il advienne, les dirigeants politiques israéliens ont, ces derniers jours, donné d’eux une bien piètre image qui ne contribuera certainement à redorer leur blason au sein de l’opinion publique.
Daniel Haïk