Le lieu de prière de la rue des Ecouffes, fondé en 1931, était en quasi-déshérence depuis une trentaine d’années. Les nouveaux président et ministre-officiant, Rémy Lellouche et Yoël Bitton, ont pris le taureau par les cornes. Voici comment.
L’oratoire Roger Fleischman de la rue des Ecouffes était une institution du Pletzl (ou « petite place », quartier historique juif du Marais parisien) dans l’entre-deux-guerres. Fondé en 1931, il était systématiquement bondé et le kahal ashkénaze se pressait pour y étudier la guemorè – guemara dans la prononciation yiddish. Après la Libération, il a poursuivi vaille que vaille son bonhomme de chemin, malgré les pertes immenses causées par la Shoah. Mais c’est au début des années 60, avec l’arrivée des juifs d’Afrique du Nord, qu’il a connu un véritable sursaut. Rémy Lellouche, président de la communauté depuis janvier 2017, a grandi ici, son père et son grand-père tunisiens y priaient. Né en 1965, il se souvient de la chaude ambiance qui régnait dans la choule, avec un minyan quotidien d’une centaine de personnes, et de l’effervescence palpable dans le beth hamidrach au cours des décennies 70 et 80. On connaît la suite : beaucoup de Juifs ont quitté le Marais, autrefois populaire mais devenu la proie d’une spéculation foncière effrénée, rédhibitoire pour la plupart des familles. Cela dit, tout le monde n’est pas parti et Rémy Lellouche, solidement enraciné, est demeuré une figure du Pletzl. Il a vu le nombre de fidèles se rétrécir au fil du temps. En 2000-2002, ils n’étaient plus qu’une trentaine le Chabbat matin. Aucun autre office n’était assuré, à l’exception des jours de fêtes. L’animation de la choule venait essentiellement des touristes, notamment de nos coreligionnaires américains souhaitant admirer une salle communautaire au charme d’antan, typique de ce vieux quartier juif dont les origines remontent au Moyen-Age. Mais Rémy Lellouche et Yoël Bitton, nommé récemment ministre-officiant (il est aussi ‘hazan et jeune élève-rabbin au Séminaire de la rue Vauquelin), ont repris les choses en main. Depuis janvier dernier, le local accueille à nouveau une dizaine d’hommes pour une étude talmudique hebdomadaire, le dimanche soir. La tefila collective se déroule à présent le vendredi à la tombée de la nuit, le matin et l’après-midi du lendemain. Le président, épaulé par un noyau dur de fils et petits-fils de fidèles des années fastes, entend même réinstaurer un minyan régulier, tous les jours pour Min’ha. « Vers 13h30, précise-til, car il y a foule après le déjeuner, quand les clients des restaurants et vendeurs de falafels casher ont fini de manger. Le public potentiel est là, il faut le conquérir ! » Au surplus, Rémy Lellouche s’investit financièrement avec ses amis pour restaurer progressivement l’oratoire. Il se démène surtout pour attirer les Juifs qui vivent encore dans le 4e arrondissement tout en « oubliant » les mitsvot. Pour le kirouv, il possède une arme infaillible : il offre désormais un kiddouch le Chabbat midi. « Viens boire un verre et manger un morceau ! », lancet-il fréquemment aux passants qu’il reconnaît autour de la rue des Ecouffes. Et ça marche : les habitués de la tefila n’étaient qu’une dizaine il y a deux ans. Aujourd’hui, ils sont vingt. Rémy Lellouche et Yoël Bitton ont… doublé leur mise. Kol hakavod.
Axel Gantz