Partisane du Tout Ou Rien ? Attention, cela risque de vous causer bien du tort !
Combat contre les kilos
C’est décidé. À partir de dimanche, vous allez déclarer la guerre. La guerre contre ces kilos en trop qui se croient chez eux alors qu’ils n’ont strictement rien à faire chez vous. Contre cette malbouffe qui a pris d’assaut votre chariot, votre garde-manger et surtout votre assiette. Et contre cette paresse qui vous fait croire que le trajet à pied qui vous sépare du parking suffit à se qualifier d’activité sportive.
À la guerre comme à la guerre, vous sortez l’artillerie lourde : un abonnement trimestriel chez Weight Watchers, une descente bihebdomadaire au rayon diététique, sans oublier une nouvelle paire de Nike PowerWalk ultralégère (qui vous rappelle vous dans six mois). Eh oui, comme le répète inlassablement Christine, votre gourou WW attitrée, quand on part en guerre, il faut motiver ses troupes.
À la guerre comme à la guerre
Les trois premières semaines de combat se déroulent à merveille. Jamais sans votre balance alimentaire, vous redécouvrez avec joie l’utilité de la règle de trois, oubliée depuis vos cours de maths de 5ème. Cette fois, non plus pour calculer le nombre de caramels mous qui reviennent proportionnellement au petit Colin et à son gourmand de copain Damien — mais pour déterminer la valeur nutritionnelle d’aliments aux accents New Age. Telle cette poignée de graines de chia (121, 5 cal.), ces 2/3 de verre de quinoa (après cuisson : 112 cal.) ou cette tasse de fèves edamame (189 cal.). Évidemment, vous boudez avec une arrogance non-dissimulée l’ascenseur de votre immeuble et grimpez, avec l’énergie de vos 20 ans, les 30 marches jusqu’à chez vous. Et quand votre meilleure amie vous jure que vous avez déjà maigri du visage, vous lui rétorquez avec une modestie toute feinte que « ma chère, tout est une question de volonté » !
Diabolique religieuse
Sauf que cette fameuse volonté va prendre un sacré coup quand, après une journée carnage au boulot, vous aurez la fâcheuse idée de longer d’un peu trop près la boulangerie cachère du coin. Car là, au beau milieu de la vitrine, trône une religieuse au café qui vous lance des coups d’œil diaboliques. « Que sont 400 pauvres petites calories entre moi et toi ? », vous susurre une petite voix, laquelle n’a rien de religieux. Et bientôt, vous voilà installée devant ladite pâtisserie, accompagnée, soit dit en passant, d’un Latte Macchiato frémissant. Un quart d’heure plus tard, arrivée dans l’entrée de votre immeuble, vous décidez de renouer avec l’ascenseur. Après tout, auriez-vous l’hypocrisie de monter les escaliers quand vous venez de faire bombance ?! Et le soir, à l’heure du repas, c’est le même genre de raisonnement a fortiori qui vous pousse à terminer en toute discrétion les trois tranches de pizza quatre fromages (3×400=1200 cal.) laissées par vos enfants. Parce que, si déjà vous avez fait chou blanc (ou plus exactement chou café), autant en faire vos choux gras ! Autrement dit, autant aller jusqu’au bout de votre échec ! Question d’honnêteté, n’est-ce pas ?!
Quand on aime, on ne compte pas…
La première mauvaise nouvelle, c’est que cette honnêteté semble être partagée par votre balance le lendemain matin, à l’heure de la pesée. La deuxième mauvaise nouvelle, c’est qu’à peine cette dernière a-t-elle pointé son aiguille accusatrice en votre direction, que votre détermination fond comme cellulite en salle de sport. Et à partir de là, c’est la dégringolade complète. Fini, le footing. Oubliées, les tisanes brûle-graisse. Enterré, le comptage obsessionnel des points WW. Quand on aime, on ne compte pas. « Et dire qu’il s’en est fallu d’une stupide religieuse pour tout gâcher ! », pleurnichez-vous entre deux bouchées de beignets.
L’anti-virus de Yossef Hatsadik
C’est là que vous vous trompez lourdement (pardonnez la connotation). Car cette pauvre religieuse n’a rien à voir avec tout ce fiasco. Le vrai coupable, c’est un méchant petit virus appelé Tout ou Rien — ou TOR pour les intimes. Et pour mieux le cerner – et mieux le combattre –, nous allons nous inspirer d’un personnage biblique qui sut déjouer avec brio sa tentative de contagion.
Le Talmud (Yoma p.35/b) affirme que Yossef Hatsadik est l’exemple même de la sainteté et de la maîtrise de soi. Rappelons en effet que Zoulékha, l’épouse de Potiphar, essaya par tous les moyens de séduire le jeune intendant de 17 ans employé chez eux. Pendant douze mois d’affilée, elle se changea trois fois par jour, tout en prenant soin de choisir les vêtements les plus élégants de sa garde-robe. Elle essaya également de le soudoyer, en lui promettant la somme astronomique de mille talents d’or. Elle alla même jusqu’à feindre un malaise pour malmener sa conscience. Mais Yossef repoussa bravement ses innombrables avances. Et c’est ce qui lui valut le titre de Hatsadik, avec un « hé » majuscule.
Une fissure dans l’armure
Ce qui est très surprenant, c’est que notre paracha semble indiquer que la détermination de fer de Yossef finit par flancher. Lisez plutôt : « Mais il arriva, le jour opportun, comme il était venu dans la maison pour faire son travail et qu’aucun des gens de la maison ne s’y trouvait » (Béréchit 39, 11).
Or, le sens de l’expression « pour faire son travail » fait l’objet d’un débat talmudique. Selon Rav, elle est à prendre au sens littéral : Yossef était venu, comme à son accoutumée, remplir son rôle d’intendant. Chemouël, lui, y décèle une portée métaphorique : en ce jour fatidique, Yossef s’apprêtait à succomber aux avances de Zoulékha. C’est alors que l’image de son père Yaacov lui était apparue. Une vision qui l’avait remué et lui avait donné le courage de s’enfuir à toute allure de la maison de son maître.
Perdre la bataille, pas la guerre
Cette opinion soulève une question évidente : si Yossef était à deux doigts de sombrer dans la faute, pourquoi le Talmud voit-il en lui l’incarnation de la sainteté ? Cette fissure dans l’armure de Yossef ne le disqualifie-t-elle pas du titre « Hatsadik » ? En aucun cas !, nous explique Rav Eli Scheller. En effet, lorsqu’une personne fléchit dans sa détermination et qu’elle commence à s’incliner face au mauvais penchant, il lui devient désormais quasiment impossible de freiner sa « descente en enfer ». « J’ai commencé à tomber. À quoi bon me relever ? J’ai déjà failli à mon devoir. Quelle différence cela fera-t-il si je continue sur ma lancée ? », se lamente-t-elle. Mais Yossef n’adopta pas cette logique douteuse. Il avait compris que perdre une bataille, ce n’était pas pour autant perdre la guerre. Refusant de s’enliser dans l’échec, il avait eu la force de se relever, et le courage de tourner le dos à la tentation. Et c’est précisément cette capacité à rebondir après l’échec, qui lui valut le titre de juste par excellence. Un titre que le roi Salomon définit précisément comme la capacité à tomber sept fois. Et à se relever (Michlé 24, 16).
Le TOR et ses torts
À l’image de Yossef Hatsadik, nous devons déceler, derrière ces raisonnements fatalistes nous incitant à nous embourber dans les marécages de l’échec, un symptôme classique du virus Tout Ou Rien. Nous devons prendre conscience que la grandeur d’une personne ne se mesure pas au fait de ne jamais trébucher, mais à celui de se relever après la chute.
Que nous soyons femme, épouse ou mère, les exemples ne manquent pas.
Ainsi, ce n’est pas parce que j’ai passé le premier quart d’heure de mon heure de « chemirath halachone » à casser du sucre sur ma voisine, que je peux m’en donner à cœur joie pendant les 45 minutes restantes.
Ce n’est pas non plus parce que j’ai hurlé une fois sur mon fiston, que je peux passer le reste de la soirée en mode maman loup-garou.
Et, sans vouloir réduire la Torah à de mièvres considérations féminines, il faut avouer que cette leçon s’avère tout aussi efficace en matière de combat contre les kilos de trop. Et pour cause, ce n’est pas parce que j’ai « craqué » une fois (ou plus), que je dois définitivement renoncer à retrouver ma taille de guêpe !
Le moment est peut-être venu de nous faire vacciner contre le virus TOR. Entre vous et moi, ne trouvez-vous pas qu’il nous a déjà causé assez de tort ?!
Ora Marhely