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13 Tishri 5785‎ | 15 octobre 2024

Entretien avec le grand rabbin Albert Guigui, grand rabbin de Belgique

Antonio TAJANI - EP President meets with Avraham GIGI, Chief Rabbi of Brussels

Le Conseil de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), a interjeté appel, fin novembre, auprès de la Cour constitutionnelle contre l’interdiction de la production de viande hallal et casher en Wallonie, votée en mai par le Parlement régional et applicable à dater de janvier 2019. Pour le grand rabbin de Belgique, Albert Guigui, cette interdiction contrevient à la liberté de culte, garantie en principe par l’Union européenne. Dans un entretien avec Haguesher, il ne cache pas son mécontentement.

 

– Haguesher : Monsieur le grand rabbin Guigui, pourquoi et comment le gouvernement wallon a-t-il interdit la Chéhita à partir de 2019 ?

 

– Grand rabbin Albert Guigui : Le désir d’interdire la Chéhita en Belgique n’est pas nouveau. Il y a eu, dans le passé, plusieurs tentatives qui, heureusement pour nous, s’étaient soldées par des échecs pour les sociétés protectrices des animaux. Mais, année après année, nous avons senti que les gens devenaient de plus en plus sensibles au bien-être animal. Il y a, surtout, la pression de plus en plus forte de Gaia (Association de défense des animaux en Belgique) qui, à coup de publicité, attaque l’abattage rituel et présente ceux qui pratiquent cet abattage comme des « barbares ».

 

– Quels sont les arguments que le gouvernement wallon avance ? Et est-ce qu’il y a, derrière cette décision, des dessous politiques, des relents antisémites ?

 

– Les parlementaires wallons se basent essentiellement sur les témoignages de scientifiques, selon lesquels la bête souffre plus quand elle n’est pas étourdie. Nous avons apporté des preuves émanant de professeurs de renommée internationale, qui démontrent le contraire. Malheureusement, ces preuves ont été rejetées sans aucune explication. Je ne pense pas qu’il y ait, chez les parlementaires qui ont voté ces décrets, des relents antisémites. Il y a surtout la pression terrible et la publicité agressive et mensongère de Gaia. Par contre, je crains que le dépôt des recours en annulation du décret auprès de la Cour Constitutionnelle par la Communauté juive, n’entraîne dans son sillage le réveil d’un antisémitisme dormant. Voilà quelques réactions recueillies après le dépôt du recours dans un des journaux de la Capitale : « Ha, là, là, il ne faut plus rien dire… On ne critique surtout pas les Juifs, merci ! » « La liberté religieuse ne doit pas correspondre à la liberté de tuer des animaux en les faisant souffrir. Point barre. S’ils ne sont pas d’accord, ils n’ont qu’à devenir végétariens ! » « ….Mais quand vont-ils accepter de respecter le minimum de règles en place !!!!! Si nos règles et nos lois ne vous plaisent pas, rentrez chez vous. C’est de la barbarie. » « Il serait temps de mettre fin à l’autorisation de toutes ces stupidités religieuses, qu’elles soient alimentaires ou vestimentaires. Nous sommes déjà bien bons d’accepter de financer lieux et servants de tous ces cultes. Pour le reste, c’est non, nee, nuts. Si des gens veulent manger du bétail égorgé, qu’ils aillent le manger chez eux. Ici, il y a des lois, et ils sont priés de faire passer les règlements humains avant leurs pseudo-interdictions divines. »

 

 

– Quelles sont les chances du recours déposé par le Consistoire Central israélite de Belgique d’être accepté par la Cour Constitutionnelle belge ? Si le recours n’est pas adopté, est-ce que le Consistoire a d’autres moyens de modifier une telle décision ?

 

– Il est difficile de répondre à votre question. Les décisions des membres de la Cour Constitutionnelle, comme celles de toute juridiction, ne sont pas prévisibles. Ce qui est certain, c’est que, si nous n’introduisons pas de recours, nous sommes sûrs de voir la Chéhita interdite en Belgique. Et cette situation risque de provoquer un effet domino touchant d’autres pays européens. Introduire un recours, c’est toujours prendre un risque. Mais nous n’avons pas le choix. Nous devons utiliser tous les moyens juridiques et légaux dont nous disposons pour défendre nos valeurs et notre religion.

 

 

– En tant que leader spirituel de la communauté juive de Belgique, que ressentez-vous face à une telle décision ?

 

En tant que leader spirituel de la communauté, je ressens beaucoup d’amertume et de désillusion. Amertume, parce que nous avons l’impression de ne pas avoir été entendus. Amertume, parce que nous considérons que la Torah est la première société protectrice des animaux, et que nous n’avons pas attendu Gaia pour prêcher le bien-être animal. Amertume, parce que nous considérons qu’au lieu de s’attaquer aux 600-700 bêtes que la Communauté juive abat en Belgique, il faudrait s’attaquer plutôt aux dizaines de milliers de bêtes qui meurent dans des souffrances terribles en raison d’un étourdissement insuffisant ou mal adapté.

Désillusion, parce que l’on croyait que les droits de l’homme dans nos pays étaient une valeur cardinale et l’on se rend compte, finalement, que ce n’est pas du tout le cas. On est prêt à sacrifier des valeurs fondamentales de nos démocraties, telles que la liberté de culte, la liberté de croire ou de ne pas croire, la protection des minorités sur l’autel de prétendues vérités.

 

– Va-t-on vers une incompatibilité en Belgique entre les valeurs humanistes ultra libérales et une pratique scrupuleuse de la Halakha ?

 

– J’espère que non. Nous ne désespérons pas. Nous sommes persuadés que la justice nous donnera raison, et que les valeurs démocratiques et humaines, qui sont le socle sur lequel reposent nos pays européens, l’emporteront sur la démagogie et la discrimination.

Propos recueillis par Daniel Haïk

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