Ces deux dernières années, de plus en plus d’Israéliens se rendent en excursion au Portugal. L’un d’eux n’est autre que le correspondant politique de Hamodia en hébreu, Israël Katzover. Il nous relate comment il a pu ressentir sur place les racines juives de cette nation qui fut prestigieuse il y a 5 siècles, mais qui connut le déclin après avoir forcé ses juifs à se convertir.
Chaque année, à la veille de Kippour, les commerçants portugais savent pertinemment qu’ils doivent augmenter leur commande de jeux de cartes, parce que durant cette période, ces jeux s’arrachent comme des petits pains. Pour comprendre l’origine de cette tradition, il faut remonter à l’époque de l’Inquisition. A cette époque, les Marranes du Portugal priaient en cachette et célébraient à trois ou quatre la journée la plus solennelle du calendrier hébraïque. Mais durant toute la prière, ils conservaient soigneusement en main un jeu de cartes. De telle sorte que lorsque les inquisiteurs pénétraient chez eux par surprise, ils s’arrangeaient toujours pour prétendre qu’ils étaient en pleine partie de cartes. Depuis, près de 5 siècles ont passé, mais des centaines de milliers de Portugais continuent, aujourd’hui encore, à se doter de jeux de cartes, sans savoir vraiment pourquoi…
Lors d’un récent voyage au Portugal, nous sommes partis à la recherche de descendants de ces Marranes qui peu à peu redécouvrent leurs racines juives.
La plupart ignorent leur histoire familiale et ne se souviennent que de vagues traditions comme celle d’allumer des bougies en sous-sol chaque vendredi après-midi, ou de se vêtir de blanc une fois par an, ou encore de préparer du pain dur qui s’appelle « matsa » que l’on mange durant sept jours après l’avoir cuit. Certains mettent une kippa sur leur tête chaque samedi matin, prononcent quelques paroles incompréhensibles avant de la remettre au fond d’une boîte jusqu’à la semaine suivante. Autant de gestes conservés depuis des générations, sans en connaître la signification, sans savoir les années âpres de la persécution et des bûchers, des massacres et de l’expulsion de leur pays il y a de cela cinq cents ans.
A la fin du 15e siècle, l’Espagne et le Portugal étaient les deux grandes puissances européennes. Ces deux royaumes envoyaient leurs vaisseaux par-delà les mers et les océans à la conquête de nouvelles terres et à la découverte de nouveaux trésors. Dès le début, les Juifs ont été des acteurs de cette « mondialisation » en créant d’importantes sociétés de commerces et de transport. L’enrichissement et la réussite de certains Juifs de l’époque attisent les jalousies et les haines. Et cette haine va conduire à l’Inquisition et à l’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492. Durant cette terrible année qui correspond aussi à celle de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, lequel serait lui-même juif selon certaines sources, entre 80 et 130 000 Juifs sont contraints de fuir et ils rejoignent pour beaucoup la communauté voisine du Portugal, qui ne comptait alors que 40 000 âmes. D’un coup la population juive du Portugal passe de 10 à 20 % de la population totale du pays. Ce qui crée un climat de tension avec la population portugaise. Les premières années se passent malgré tout dans un calme relatif. Le roi du Portugal, Jean II, comprend le potentiel que représentaient les Juifs pour son pays. Ils s’étaient intégrés rapidement à la société dans les domaines de la médecine et des sciences, ils étaient devenus conseillers du roi en matière économique. Mais lorsque le roi meurt en 1495, le jeune Manuel II le remplace, et sur le conseil de certains Juifs de la cour, il épouse la fille de Fernand II et d’Elisabeth la Catholique, roi et reine d’Espagne. Ces derniers imposent alors au jeune souverain une condition à ce mariage : l’expulsion des Juifs du Portugal. Persuadé qu’il pourrait convaincre sa jeune épouse de renoncer à cette condition, il l’épouse, mais en décembre 1496, Manuel publie le décret d’expulsion des Juifs du Portugal. Pourtant déterminé à garder les Juifs au Portugal, il leur permet de rester à condition qu’ils se convertissent au christianisme. Les organismes et institutions juives sont fermés, ainsi que les synagogues et les écoles, et leur argent est confisqué. Le roi fait également enlever des milliers d’enfants juifs de 5 à 14 ans pour les convertir de force et contraindre leurs parents à en faire autant. Mais les Juifs du Portugal sont plus déterminés que leurs frères d’Espagne. Nombreux sont ceux qui préférèrent mettre fin à leurs jours plutôt que d’accepter la conversion. Manuel II comprend qu’il ne parviendra pas à ses fins et en 1497, il impose la conversion forcée à tous les Juifs du pays. Sous couvert d’acceptation du décret, les Juifs prennent tous les risques pour pratiquer leur judaïsme en cachette. Les Marranes font l’objet d’une persécution sans pitié et lorsqu’ils sont pris en train de prier ou de manger casher, ils sont brûlés sur le bûcher en place publique.
A la même époque, l’épidémie de peste noire déferle sur le monde et atteint également le Portugal. L’église et le Cortès accusent les Juifs venus d’Espagne d’avoir propagé le virus. Certains Juifs se sentant menacés demandent de se rendre en Afrique du Nord, mais le Portugal, en guerre contre l’Afrique du Nord musulmane, leur refuse le départ. Pris en étau, les Juifs cherchent désespérément des endroits où prier à travers le pays, les livres de prières sont confisqués, leurs enfants sont kidnappés, et s’ils tentent de fuir, ils sont arrêtés et convertis de force.
En réalité, peu se convertissent réellement au christianisme. La plupart deviennent des Marranes, exerçant leur religion en secret. Les femmes juives étaient les plus déterminées à garder leur religion, ce qui explique que beaucoup d’entre elles sont exécutées sur le bûcher à cette époque. Mais au fil des années, les Marranes s’éloignent peu à peu du judaïsme et oublient les traditions de leurs ancêtres, dont il ne reste que quelques symboles aujourd’hui.
Un livre de Shmuel Usque, descendant de la deuxième génération de Marranes portugais, datant de 1553, décrit la catastrophe de la grande communauté juive du Portugal. Le drame qui la touche est encore plus tragique que l’expulsion d’Espagne. Les Juifs d’Espagne avaient subi de nombreuses persécutions entre 1391 et 1492. Si les Juifs portugais faisaient l’objet d’une certaine hostilité de la part de la population, ils ne connaissaient pas la même haine qu’en Espagne. En fuyant l’Espagne vers le Portugal, les Juifs pensaient y trouver refuge, même s’ils devaient payer une taxe pour pouvoir rester.
La haine envers les convertis au Portugal était si grande, que lors d’un déplacement du roi en 1506, un pogrom éclate à Lisbonne. En trois jours, 2000 Juifs sont assassinés. L’expulsion des Juifs d’Espagne et du Portugal va avoir une incidence sur l’ensemble du monde juif. Ceux qui ont réussi à échapper aux griffes de l’Inquisition s’installent dans l’ensemble du monde juif, en Erets Israël d’abord, mais aussi en Afrique du Nord, en Syrie, en Irak et dans les pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est.
Des communautés portugaises ont vu le jour à partir du 16e siècle à Amsterdam où l’on peut encore visiter leur splendide synagogue, ainsi que dans le sud-ouest de la France, à Bordeaux et Toulouse où l’on prie aujourd’hui encore selon le rite portugais. .
Aujourd’hui, selon les chiffres de la communauté juive, il resterait environ 700 Juifs au Portugal, alors que selon le recensement de la population, 1100 se sont déclarés juifs. Selon des chercheurs portugais, sur la base de données ADN, 30 % de la population portugaise aurait des origines juives. Quelques signes montrent un renouveau du judaïsme dans certaines villes du Portugal. A Lisbonne, un marchand ambulant vend de la nourriture juive, sans connaître la moindre règle de casherout, mais expliquant qu’il s’agit de la cuisine de ses mère, grand-mères et arrières grand-mères. Certains jeunes qui se découvrent des origines juives, proposent des promenades sur les traces des Juifs qui ont vécu là, d’anciennes traces de mézouzot, des mikvé souterrains, et des églises ou monastères qui avaient un jour appartenus à des Juifs. D’anciennes synagogues sont transformées en musées juifs, afin d’attirer de futurs touristes du monde entier.
A Porto, au nord du pays, un homme à la longue barbe et portant une kippa harangue les passants le chabbat matin, dans un café de la ville. Il s’appelle Juao Santos et parle du besoin de revenir à « nos » racines juives, il appelle tous ceux qui savent qu’ils ont des origines juives à répéter le « Chéma Israël », puis fait une pause en fumant une cigarette…
Selon le Rav Daniel Litvak, rabbin de Porto, certains Juifs s’intéressent à leurs racines et posent des questions. Mais même s’ils se sentent Juifs, ils doivent en réalité se convertir pour le devenir réellement et beaucoup renoncent à cette longue démarche. Selon le président de la communauté de Porto, Henri, un jeune homme qui a étudié en Israël, la communauté compte 150 Juifs. Ce chiffre augmente régulièrement, mais la plupart ne sont pas les descendants des Marranes, mais plutôt des Juifs fuyant l’antisémitisme ailleurs en Europe. Si Henri travaille dans les bureaux de la synagogue Kadouri et reçoit les visiteurs, celui qui porte le titre de président est José Frao Felipe, descendant de Marranes revenu à la religion. Il vit à Lisbonne mais soutient la communauté de Porto. Il détient avec fierté son certificat de conversion de la rabbanout d’Israël.
Dans les allées du marché de Porto, certains vendeurs identifient les Israéliens en visite et leur montrent fièrement le Maguen David qu’ils portent autour de leur cou. « Frères, frères » crient-ils en hébreu. Beaucoup se considèrent comme Juifs, et ils ont défilé par milliers lors de la grande manifestation en faveur d’Israël qui s’était tenue à Lisbonne, il y a trois ans lors de l’opération Bordure Protectrice.
Aujourd’hui, le gouvernement portugais qui aspire à voir des Juifs et des Israéliens nouer des relations plus solides avec le pays, est prêt à accorder la nationalité portugaise à tout juif qui prouvera ses origines portugaises.