Fort d’un passé similaire lié à un même processus de décolonisation et d’émancipation de la domination britannique au milieu du siècle dernier, les deux pays coopèrent aujourd’hui de plus en plus, tout simplement parce qu’ils ont de nombreux intérêts communs. Le point sur les arcanes de cette relation réussie entre l’Inde et Israël.
« C’est une visite tout à fait historique en Israël, devait déclarer le Premier ministre Binyamin Nétanyaou en s’adressant le 25 juin dernier aux membres de son gouvernement en annonçant l’arrivée le 4 juillet suivant du chef du gouvernement indien, Narendra Modi, pour trois jours en Israël. Car en 70 années d’existence de notre pays, aucun Premier ministre indien n’était encore jamais venu ici. Et c’est bien là la preuve de la puissance militaire, économique et diplomatique d’Israël ! ».
Célébrant les 25 ans de relations communes entre les deux pays (même si l’Inde a reconnu Israël en 1950, les liens concrets entre Jérusalem et New Dehli ont seulement débuté en 1992), cette visite, qui est effectivement une « grande première » pour Israël, consacre en fait une étonnante progression des liens existant entre eux à tous les niveaux.
Détail significatif revêtant une grande importance : rompant avec la tradition protocolaire prétendument « équilibrée » de tant de visiteurs étrangers en Israël, Modi a choisi de ne pas se rendre aussi à Ramallah pour rencontrer Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne. Ce qui n’est pas sans rappeler le fait que la diplomatie indienne a choisi lors des derniers 18 mois de s’abstenir à plusieurs reprises à l’ONU – aussi bien à New York qu’à Genève – lors de votes automatiques proposés par le bloc des pays arabes condamnant Israël.
Des intérêts stratégiques communs
Or malgré la disproportion stupéfiante existant entre leur taille (le territoire d’Israël représente 0,63 % du sous-continent indien peuplé par 1,3 milliard d’habitants… pour seulement 8,5 millions d’israéliens !), ces deux pays partagent de nombreux intérêts et préoccupations stratégiques communs : ils ont mené chacun plusieurs guerres conventionnelles contre certains de leurs voisins ; ils font face tous deux à de violents conflits ethniques et religieux internes ; ils sont confrontés au danger des armes de destruction massive en possession de certains de leurs ennemis (le Pakistan pour l’Inde et l’Iran pour Israël) ; ils combattent l’islam radical et sa myriade de groupes terroristes (17,6 % des Indiens sont musulmans, soit 180 millions de ses citoyens).
Or le soutien automatique et traditionnel des gouvernements indiens depuis 1947 à la « cause palestinienne » et leur pleine acceptation des positions anti-israéliennes de la Ligue arabe et du bloc des pays « non-alignés » de l’ONU (surtout lors de la longue période de la Guerre froide) n’ont pas apporté grand-chose à l’Inde qui, par ailleurs, n’a jamais été soutenue par la Ligue arabe dans son perpétuel conflit frontalier du Cachemire avec son grand adversaire pakistanais. Une amère déception renforcée à New Dehli à l’heure où le monde arabe et de grands Etats du Moyen-Orient (Syrie, Irak, Yémen) éclatent sous les effets destructeurs des « hivers islamiques » et du conflit central entre musulmans chiites pro-iraniens et musulmans sunnites s’étendant jusqu’en Asie.
Autre facteur, plus politique celui-là, ayant beaucoup accéléré ces deux dernières années le rapprochement Inde-Israël qui s’est aussi inscrit en parallèle avec le rapprochement plus récent Inde-USA : les excellentes relations (jusque-là surtout téléphoniques) entre Modi, N°1 du Parti nationaliste hindou BJP (conservateur) et Nétanyaou, qui partagent ensemble de nombreuses analyses communes sur la situation géopolitique environnante.
D’importants échanges militaires, agricoles et technologiques
Fait intéressant relevé par les experts de ces relations bilatérales : c’est le système décentralisé de l’immense Etat fédéral indien qui a permis, même pendant les décennies pro-palestiniennes des gouvernements successifs en place à New Delhi, de favoriser les liens économiques, technologiques et agricoles, notamment dans tout ce qui a trait à la gestion des ressources aquifères et à l’irrigation, et avec la création de 26 « Centres d’excellence » agricoles avec Israël, car il y allait de l’intérêt même des leaders régionaux de ce grand sous-continent livré à la pauvreté et parfois même à la famine de leurs populations respectives.
Avec un volume de 4,2 milliards de $ d’échanges annuels en 2016 (dont 1,7 milliard d’importations et 2,5 milliards d’exportations où dominent les ventes d’armes et les transferts de technologies israéliennes à l’Inde – voir notre encadré), le commerce extérieur entre les deux pays ne cesse de se développer. Ce qui ne pourra que progresser à l’heure où la plupart des économistes prévoient qu’au moment où débutera le déclin des USA, l’économie indienne supplantera même dans quelques décennies celle de la Chine : un immense marché potentiel pour Israël !
Là encore, il s’agit d’un étonnant paradoxe puisque l’Inde a un PIB de 2 500 milliards de $ annuels et Israël seulement 300 milliards… alors que le revenu national annuel par habitant atteint 38 000 dollars en Israël et 6 700 dollars en Inde. Pas étonnant donc que les Indiens, dont l’économie croît chaque année de 7 %, soient intéressés par la prochaine création d’une vaste « Zone de libre-échange » à hauteur de 15 milliards de $ de flux entre les deux pays.
« Pour l’Etat hébreu, explique ainsi le Pr. Efraïm Inbar, fondateur du Centre Begin-Sadate d’Etudes stratégiques à l’Université Bar-Ilan, ces excellentes relations entretenues avec l’Inde illustrent l’effectivité des changements structurels intervenant à l’échelle planétaire alors que le centre de gravité mondial se déplace vers l’Asie et le Pacifique. Voilà pourquoi l’Inde est un très important protagoniste qui doit requérir toute l’attention d’Israël ».
Richard Darmon
Une intense coopération militaire
Ayant débuté dans les années 1990-2000 par une étroite coordination anti-terroriste permettant d’importants échanges d’informations secrètes entre Jérusalem et New Delhi (sur les modes de recrutement, d’entraînement et de financement des groupes islamistes radicaux), la coopération militaire bilatérale s’est accélérée ces dernières années du fait notamment que la Russie, jusque-là principal allié de l’Inde en matière de Défense, a commencé à afficher des prix très élevés pour son assistance. Résultats : Israël n’a cessé d’emporter des marchés très lucratifs en Inde dans ce domaine, réussissant à lui vendre désormais une moyenne d’un milliard de $ d’armes par an.
Cela a commencé par le renforcement technologique des Mig-21 et des tanks T-72 indiens de fabrication russe. Puis, l’Etat hébreu a vendu à l’Inde toute une série d’équipements militaires sophistiqués : radars dernier-cri de gestion du champ de bataille, appareils de vision infra-rouge pour les combats de nuit, barrières de sécurité hautement informatisées, et surtout des missiles (peu à peu fabriqués en Inde sur des chaînes de montages locales) comme le missile anti-blindage Spike, le Python-4 (air-air) et le Barak-8 (sol-air).
On se souvient aussi qu’après avoir proposé dès le début des années 2000 aux industries d’armements indiennes sa plateforme Phalcon de radars AWACS (installées sur les avions de fabrication russe IL-76), Israël a décroché en 2016 un gros contrat d’un milliard de $ pour équiper deux autres plateformes Phalcon de ce type (avec l’accord formel des USA).
Mieux encore : les Industries aéronautiques israéliennes (IAI) viennent de signer en avril 2017 un contrat de 2 milliards de $ fournissant à l’armée indienne des missiles antichars et d’autres systèmes de défense anti-aériens. Plus récemment, les IAI ont encore emporté un contrat de 630 millions de $ pour équiper la marine de guerre indienne de missiles Barak-8. Une série d’équipements faisant partie intégrante du super-plan militaire initié par le Premier ministre Modi portant sur une enveloppe de 250 milliards de $ destinés à moderniser l’armée de son pays face aux périls persistant du Pakistan musulman et des velléités hégémoniques de plus en plus affirmées de la Chine dans le Pacifique débordant sur l’Océan indien. Richard Darmon
De nombreux projets de high-tech et de start-up déjà en acte
Alors qu’Israël arrive en 3e position mondiale derrière les USA et la Chine pour le nombre de ses sociétés de high-tech cotées à l’indice NASDAQ de la Bourse de New York et que 40 % de ses salariés de ce secteur participent à des projets de Recherche et Développement, il n’est pas étonnant que cette branche d’industrie soit l’une des plus dynamiques dans sa coopération avec l’Inde, un pays lui-même en pleine expansion technologique qui voit se multiplier partout les start-up et les couveuses technologiques locales où des milliards de $ ont déjà été investis.
Ainsi, voilà plusieurs années que l’Inde et Israël ont mis en place un grand nombre de projets de recherches approfondies dans les domaines appliqués couvrant la biotechnologie agricole et médicale, la génomique humaine, les nanotechnologies, l’imagerie, l’informatique, la robotique, l’énergie solaire, les innovations en technologies « propres » préservant l’environnement (l’Israeli innovation ecosystem), et la communication.
« Israël est un pays avec lequel l’Inde peut développer de nombreux contacts. Il dispose de la technologie et de la matière grise, et l’Inde a une capacité de production et la volonté de coopérer. Cette collaboration peut créer un environnement global fantastique et une communauté s’efforçant de réaliser des objectifs communs », devait déclarer lors d’une visite à l’université de Tel-Aviv de Devendra Fadnavis, le président du Maharstra, le 2e Etat de l’Inde peuplé de 120 millions d’habitants dont la capitale, Bombay, est considérée comme le cœur industriel et financier du pays.
Une coopération dynamique encouragée en décembre dernier, lors de la visite en Inde du président de l’Etat d’Israël, Reuven Rivlin, par la création d’un fonds de recherche et de développement à hauteur de 20 millions de $
et par l’investissement d’un million de dollars pour soutenir de nouveaux projets de start-up de pointe dans la sécurité informatique. Le tout alors que s’intensifient entre les deux pays les échanges de centaines d’étudiants afin d’étoffer davantage cette collaboration.
« L’Inde et Israël sont deux peuples anciens, fiers de leur culture et de leur histoire respectives, deux démocraties vibrantes dont les peuples sont curieux et avides d’appréhender l’avenir. Voilà pourquoi je crois qu’ensemble, nous pouvons forger un meilleur avenir pour Israël, l’Inde et le monde ! », avait alors déclaré Rivlin. Richard Darmon