La politique de « double jeu » géopolitique et économique longtemps menée par le gouvernement de Doha va-t-elle le mettre à l’abri des mesures d’isolement décrétées voilà deux semaines par cinq pays arabes sunnites du Moyen-Orient ?
Tous les observateurs de la scène moyen-orientale ont pu constater qu’une semaine à peine après les mesures de boycott, de rupture diplomatique et de fermeture des frontières imposées par l’Arabie Saoudite, l’Egypte, le Yémen, le Bahreïn et les Emirats arabes unis, les marchés financiers du Qatar se sont vite stabilisés. Et ce, malgré le fait que cette rupture constitue en fait la crise la plus grave depuis des années qui divise le monde sunnite de la région…
Ces cinq pays reprochent au Qatar d’entretenir l’instabilité au Moyen-Orient notamment par le biais de leur station de télé pro-islamiste et à grande diffusion Al Jazeera, en soutenant plusieurs groupes terroristes (dont les Frères musulmans égyptiens, le Hamas, le Mouvement islamique israélien, Al-Qaïda et l’Etat islamique-Daesh) et en maintenant des relations privilégiées avec leur ennemi commun no 1, le régime chiite iranien.
Un test important pour l’administration Trump
Contrairement à ce que certains ont laissé supposer, ce boycott sunnite, qui se préparait de facto depuis longtemps compte tenu de la politique « à double entrée » menée depuis des décennies par le Qatar, n’a pas été simplement décidé dans le sillage immédiat de la visite du président américain à Ryad voilà près d’un mois. Et ce sont justement les Américains qui, paradoxalement, se sont montrés les plus gênés par cette mise à l’écart, d’autant que c’est le Qatar – pourtant un proche allié de Téhéran – qui abrite depuis des années les principales bases militaires américaines au Moyen-Orient. D’où l’embarras à peine voilé de Washington face à la crise actuelle !
Même politique à « double face » avec Israël : d’un côté, le Qatar a établi dès 1996 des relations commerciales avec l’Etat hébreu – dont l’échange d’attachés économiques à Doha et à Tel-Aviv, ainsi que l’autorisation accordée aux touristes israéliens de faire escale à Doha – qui ont été interrompues par Jérusalem en 2011 quand le gouvernement Nétanyaou a établi que le Qatar finançait directement les fabriques de missiles du Hamas de Gaza… Depuis, le Qatar aurait investi 1,5 milliard de dollars dans la lutte contre Israël, incluant divers boycotts universitaires et économiques, dont les actions du mouvement BDS.
D’énormes réserves en devises étrangères
D’après les économistes, au-delà de l’aspect spectaculaire de ce boycott anti-Qatar, la seule pénalité effective des mesures prises par les pays sunnites risque de concerner les banques qataries qui auront désormais plus de difficultés à obtenir à même hauteur des crédits de la part d’autres banques régionales ou mondiales afin de soutenir leurs portefeuilles d’investissements et de prêts – ce qui pourrait ralentir quelque peu la croissance nationale locale.
Il n’empêche : le sheikh Abdoulrahlan al-Thani, le ministre qatari des Affaires étrangères, avait de bonnes raisons, lors de sa visite en France la semaine dernière, d’afficher un large sourire et un franc optimisme en annonçant tout de go et de manière tout de même assez surprenante que son pays avait accepté – carrément ! – de « cesser de financer le terrorisme »… On évalue en effet à 34,5 milliards de dollars les énormes réserves en devises étrangères de la Banque centrale du Qatar, doublées de centaines de milliards de dollars de divers autres Fonds nationaux toujours évalués en dollars afin de garder un précieux contrôle sur les taux de change de la monnaie qatarie…
Richard Darmon