Au second tour de la présidentielle, le score d’Emmanuel Macron doit être le plus élevé possible face à Marine Le Pen. Il en va de la pérennité de notre communauté. Voici pourquoi
Si le vote juif pour le Front national a toujours existé, il est traditionnellement résiduel. Au premier tour du 23 avril, il était probablement insignifiant, sauf peut-être dans quelques départements du Midi où les rapatriés d’Algérie sont nombreux et le FN très… banalisé (Vaucluse ou Pyrénées-Orientales par exemple). En Israël, seuls 3,7 % des électeurs de nationalité française ont accordé leurs suffrages à Marine Le Pen. C’est peu mais encore trop. Cela dit, le vrai danger est ailleurs. Beaucoup de Juifs ont préféré François Fillon à Emmanuel Macron, soupçonnant ce dernier de tergiversations ou de mollesse face aux défis économiques présents et à venir, gage d’un possible immobilisme à la Hollande. D’autre part, le résultat du second tour semble acquis d’avance en faveur de l’ancien ministre de l’Economie. Dans ces conditions, le risque d’abstention est élevé.
Or, s’il est vrai que l’ex-cadre de la banque Rothschild paraît assuré de l’emporter, chaque voix juive va compter. Car un score élevé de la fille de Jean-Marie Le Pen (plus de 37 ou 38 % des bulletins) provoquerait mécaniquement une recomposition de la droite dans un sens réactionnaire, populiste et diamétralement opposé aux intérêts de notre communauté. Le politologue Jean-Philippe Moinet, fondateur de l’Observatoire de l’extrémisme, l’avait souligné dans ces colonnes en mars. C’est en empêchant le FN de battre un nouveau record dans les urnes que l’on dissuadera la droite républicaine de se déchirer voire d’imploser, comme le pronostiquent déjà certains experts. Dans le cas contraire, le nationalisme hexagonal dans sa version étriquée, ennemi des Juifs depuis le 19e siècle, celui-là même qui a engendré le pétainisme et participé à la Shoah par le biais de la Collaboration, relèvera la tête. Et trouvera des alliés dans un climat marqué par l’arrogance, car une digue morale pourrait sauter. L’« accord de gouvernement » signé entre les deux tours, le 28 avril, entre la candidate frontiste et le « gaulliste » Nicolas Dupont-Aignan (4,8 % des suffrages) en est la première illustration. La menace est donc très préoccupante. Il en va de la pérennité du judaïsme français, en particulier dans sa forme visible : organisée et cultuelle.
On sait que Marine Le Pen est l’héritière d’un parti fondé par des nostalgiques de Vichy. On connaît aussi l’antisémitisme de son père. Haguesher a également rappelé, ces dernières semaines, l’omniprésence de Frédéric Chatillon, responsable de la communication du mouvement (et désormais mis en examen pour malversations financières), dans l’entourage de la candidate frontiste, aux côtés d’autres nazillons. Le propagandiste de la haine antisémite Alain Soral n’est plus membre du FN, mais conserve des liens étroits avec Chatillon, camarade de faculté de Marine Le Pen, et sa bande. Néanmoins, l’héritage n’est pas tout.
Le Front national a des projets précis en direction des Juifs. Il prétend les protéger contre l’islamisme mais sa candidate a répété dernièrement qu’elle interdirait la kippa dans l’espace public, au nom d’une conception délirante de la laïcité. En visite au
marché alimentaire de Rungis, le 25 avril, elle vient de confirmer sa volonté de proscrire l’abattage rituel. C’est la proposition 137 de son programme. Pendant la campagne du premier tour, elle a martelé son opposition à la double nationalité franco-israélienne, rendue impossible en cas de victoire électorale. En outre, la déclaration de repentance du président Chirac, reconnaissant en 1995 la responsabilité de la France dans la mise en œuvre de la Solution finale, serait remise en question puisque cette responsabilité est niée par Marine Le Pen.
Ses meetings ont été émaillés d’incidents antisémites, comme à Lyon en février, où des militants de l’Union des étudiants juifs de France (UEJF) se sont fait apostropher parce qu’ils tractaient à proximité. Les insultes et allusions perverses ont fusé : « Qui domine le monde, à votre avis ? – C’est vous qui faites la guerre en Israël! », etc. C’est à ces extrémistes mus par la haine que de simples souverainistes en principe modérés comptent tendre la main si Marine Le Pen obtient un score certes insuffisant pour entrer à l’Elysée, mais assez écrasant pour dominer la future opposition. La même Marine Le Pen dont l’argument numéro un est le supposé « mondialisme » d’un Emmanuel Macron qui serait à la fois le produit et le jouet de la finance, laquelle dirigerait l’Europe « au détriment des peuples ». Nous, Juifs, avons déjà entendu ce discours, savons ce qu’il signifie – et où il conduit.
Axel Gantz